Ah Conan, quel souffle sauvage et épique parcourt les œuvres qui narrent tes exploits! J'ai lu tant et tant de critiques dithyrambiques à ton encontre et je ne peux qu'être d'accord avec beaucoup de points qu'elles soulèvent.
Il y a effectivement une vraie poésie qui se dégage de l'ensemble de tes aventures, une sorte d'aspect brutal, qui se retrouve partout. Les paysages décrits par ton médium, des jungles épaisses aux déserts sans bornes, des mers sanglantes aux ruines impies, tout cela rappelle la lutte perpétuelle de la vie contre sa propre fin, lutte dont tu es l'incarnation, et qui teinte tout ce qu'elle illumine d'une mélancolie simple et belle.
De cette poésie découle naturellement, comme l’écrin soutenant le joyaux, ta philosophie. Tu ne te soucie que du présent, prenant ta part d'où qu'elle vienne, luttant à mort pour mieux vivre. Le passé, l'avenir, le réel et le temps sont autant de concepts civilisés qui ne t'intéressent pas. Et de fait, tu es en étant barbare plus civilisé que les civilisations que tu croise : nous autres enfants des livres sommes lents, gauches, lâches, fourbes et vicieux comparés à ton corps de panthère, tes muscles d'aciers, tes réflexes prodigieux de grâce et de vivacité. Tu es la critique vivante de l'aliénation dont la société est capable.
Enfin, on ne peut pas dire que les menaces que tu combat soient vues et revues milles fois. Entre les sorciers et la poussière de lotus noir, les horreurs du monde extérieur et les serviteurs du monstrueux Set, et même les gigantesques hominidés et les créatures faites de cauchemar et de métal, tout ce que tu croise est neuf, terrible et brutal. Nul doute qu'ils seront encore nombreux, Conan, ceux qui chanteront tes exploits. Et je n'en ferais pas partie Conan, car après quatre-cent pages de tes hauts faits, j'en ai franchement marre.
Jamais personnage n'aura été aussi original dans son concept et lassant dans son propre univers que toi. Car tes histoires ne sont pas des nouvelles, mais des comics: au début de chacune d'elle, l'univers repart de son exact point de départ, pour que tu puisse vivre une nouvelle aventure dont on sait par avance qu'elle ne t'affectera pas, pas plus que les anciennes n'auront d'influence sur celle-ci. Du même coup, tu n'évolue pas : tu reste toujours le même archétype, figé au même point, décrit par le même vocabulaire et opérant la même critique ad nauseam. Cela t'es d'autant plus nuisible que la tension dans ces comics repose sur le danger qui t’assaille ; or plus on avance et plus on assimile le fait que tu es invincible, rendant tes comics ennuyeux par le simple fait que l'on sait qu'il n'est pas une menace que tes muscles félins et ta ruse primitive ne puissent terrasser. D'ailleurs, ce n'est pas le fait que tes histoires soient faites de massacres, de tueries, d'escarmouches, de batailles, de boucheries, de meurtres de masse, d'assassinats où il est toujours question de sang et de cervelle qui giclent qui va alléger le propos. Ni le fait que toutes les femmes que tu croise (sauf une) ne soient que des bimbos faiblardes et excitées par tes pectoraux oints de ta propre sueur et du sang de tes ennemis qui raffinera ta barbarie abrutissante.
J'aimais bien ton aspect rugueux, comme le rubis encore prisonnier de sa gangue de terre et dont on devine la grosseur et la rougeur ardente. Mais l'orfèvre qui t'en a tiré était lui-même grossier et il n'a pas su te faire évoluer. C'est dommage, car tu reste ainsi ce que tu étais alors que la terre te tenait encore en son sein : un énorme cailloux rouge sang, pierre précieuse en puissance, héros quelconque en acte.