Jane Eyre
7.9
Jane Eyre

livre de Charlotte Brontë (1847)

Notre époque est un paradoxe absolu : d'un côté on crache sur les romances pour adolescentes, aux intrigues fades et aux personnages idéalisés, et de l'autre on me décrit encore Jane Eyre comme un monument de la littérature. Je l'ai abordé comme tel, et jusqu'à la dernière page ai-je tenté d'y trouver ce qui a fait sa renommée. Rien à faire : j'ai refermé l'ouvrage avec un sentiment de vide, si caractéristique de la déception.


Cela démarrait bien pourtant. Le livre est bien écrit, l'héroïne est touchante durant les premiers chapitres, avec sa candeur et sa bonne nature. Madame Brontë est excellente pour retranscrire la beauté d'un panorama, les détails d'une anatomie ou d'un salon, ce qui vaut bien trois points. On se dit que tout va aller pour le mieux... et puis, à mesure qu'on progresse, l'héroïne cesse de nous émouvoir pour nous faire peur : tant de perfection est monstrueuse. Aucun défaut, aucun vice, toujours prête à aider, toujours de bon cœur. C'est profondément louche et l'on s'attend à toutes les pages à la voir sortir un fouet pour battre à mort des chatons, laissant apparaître au grand jour sa part démoniaque. Les autres personnages l'on d'ailleurs bien compris, puisqu'ils s'acharnent à lui en faire voir de toutes les couleurs.


Or il n'en est rien : le livre tout entier n'est qu'un chemin de croix pour cette Jane si parfaite sur qui le sort se défoule ainsi qu'un lundi matin sur un écolier. Seulement, aucune larme ne vient, précisément parce qu'on arrive pas à aimer un personnage qui est plus un idéal qu'un être humain. Or, puisque toute l'intrigue repose sur ses frêles épaules de sainte, c'est l'intérêt même du livre qui est remis en cause. Bien sûr, je ne prétend pas non plus que l'on ne puisse pas s'identifier à un tel personnage (chacun gère son égo comme il l'entend), mais avec moi cela n'a pas prit. Par ailleurs, le fait que l'auteur nous décrive les autres jeunes filles de son époque soit comme des paresseuses qui n'ont d'autres désirs que de se faire enlever par des pirates au torse velu, soit comme d'autres saintes en puissance sur qui Dieu envoie la tuberculose pour tester leur foi, sent bon le manichéisme puritain, avec qui je suis définitivement fâché.


Enfin, il y a l'intrigue. Car il n'est que deux hommes dans tout le samsara à même de voir la perfection immaculée de cette Jane Eyre : un noble et un prêtre. Le second veut l'emmener en Inde, le premier veut l'épouser, malgré sont lourd et terrifiant secret. Bien sûr, la fin se voit grosse comme le nez au milieu de la figure. Hormis le fait qu'elle finisse par s'occuper d'un homme si diminué, mentalement et physiquement, qu'on se demande s'il n'y a finalement pas un tout petit peu de sadisme dans cette âme si parfaite... bref, encore une intrigue à base de "fuis moi je te suis, suis moi je te suis", et selon moi pas la meilleure.


Conclusion : personnages manichéens, intrigue vue et revue sur un amour courtois et impossible, chevalerie et bonne éducation contre l'injustice d'un monde de brutes, morale finale où Jane Eyre pardonne à son mari ses pêchés, tout dans ce livre est voué à refléter un idéal. Et l'idéal est d'un ennui...

Pulsar
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le 1 oct. 2016

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