De part sa simple existence, ce film pose d'emblée une question d'importance sur le devenir du cinéma : peut-on encore proposer au public ce genre de films? A l'ère du tout numérique et des personnages manichéens du cinéma hollywoodien, un réalisateur peut-il encore proposer un film sans effets spéciaux et subtil dans son fond comme dans sa forme? Cette question est très intéressante, mais j'ai peur qu'hélas, elle soit déjà tranchée. Car si l'on en juge par la moyenne de ce film sur ce site et par l'effondrement de carrière du réalisateur, le message semble plus que clair. Ce qui franchement ne me rassure pas sur le devenir artistique de l'humanité.
Il faut dire aussi que le public a dû être pas mal désorienté au moment de sa sortie, car "le Village" est tout simplement inclassable. Certes il emprunte quelques codes au cinéma d'horreur, au thriller psychologique et aux romances bien calibrées qui sortent chaque année avec la même régularité dans les salles obscures, mais il en profite pour faire sa propre sauce. En clair, voilà un film au rythme lent, à l'ambiance très profonde et silencieuse, qui met plus d'une fois mal à l'aise, mais ne joue jamais la carte de la terreur facile. Il n'y a pas non plus d'antagoniste, si ce n'est le mensonge qui gangrène le village, ce qui forcément implique un développement psychologique intensif de chaque personnage, de chaque rapport entretenu entre les protagonistes.
Du coup, les personnages eux non plus ne peuvent être classés, car aucun d'entre eux n'est fondamentalement bon ou mauvais. Ils ont tous leurs qualités et leurs défauts, souvent contradictoires, ainsi que leurs propres raisons d'agir, qui reposent non pas sur un objectif clair, mais sur des sentiments. Alors je sais, ça peut paraître dingue qu'un film ne vide pas ses personnages de leur substance pour nous faire passer un message à grand coup de fin tranchée, mais c'est pourtant ce qu'essaye de faire ce film ; à aucun moment, il n'a la prétention de nous en mettre plein la vue ou d'obtenir un oscar du meilleur ceci ou cela. Non, il essaye juste de nous toucher pour nous inviter à réfléchir, le plus dingue étant qu'il y arrive.
Mais si il n'y avait que ça encore! Vous vous souvenez des dessins animés de notre enfance où il était toujours question d'une pauvre petite princesse qui devait être sauvée par le grand et beau chevalier? Et bien "le Village" prend le parti de renverser complétement la situation. Et ne croyez pas qu'il nous sort un pauvre petit chevalier qui doit être sauvé par une grande et belle princesse : au lieu de ça, on a le droit à un garçon sensible et poétique, qui avoue sa faiblesse à la femme qu'il aime dans l'une des plus belles déclarations de l'histoire du cinéma, et c'est celle-ci qui devra le sauver. Malgré le fait qu'elle soit aveugle, malgré le fait qu'elle ne soit pas spécialement forte, malgré le fait qu'elle ne soit qu'une humaine particulièrement amoureuse et déterminée.
Je ne vous en dit pas plus, j'espère vous avoir au moins invité à vous intéresser à ce film. Bien sûr, je comprendrais si vous en êtes déçu, ce n'est pas drôle de se retrouver avec des repères complétement brouillés et de ne plus savoir vers quel cliché se tourner pour interpréter une œuvre ; mais je vous assure que si vous parvenez à ne pas comparer ce film à autre chose, à comprendre qu'il est incomparable et qu'il faut le prendre pour ce qu'il est, vous devriez avoir une belle surprise.