Connemara
7.3
Connemara

livre de Nicolas Mathieu (2022)

Des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien

Le titre de cette chronique est un emprunt. Une citation un jour prononcée dans une gare, du haut d'une candide immaturité. Qui définit pourtant à merveille ce dont il est ici question. Une fracture, celle d'un pays qui n'en finit plus de la creuser. Et qui sera, dans ce bouquin, définitivement consommée le jour du second tour de l'élection présidentielle de 2017. Qui oserait croire qu'il s'agit d'un hasard ?


On pourrait reprocher à Connemara d'être une sorte de redite de l'ouvrage précédent de Nicolas Mathieu. Et c'est vrai qu'il y a des similarités, dans cette manière de chroniquer, jusque dans les moindres détails du quotidien, la vie des français dans ces territoires un peu urbains et un peu ruraux. Dans cette obsession du temps long, qui montre justement le creusement de la fracture, par petites touches, sur plusieurs décennies. Pour autant, la construction chronologique n'est pas tout à fait la même que celle de "Leurs enfants après eux", plus linéaire et s'accélérant au fil du temps. Ici, c'est le flash back qui prévaut, un procédé sans doute plus éculé, mais peut-être plus apte à mettre en lumière les destinées.


Une autre différence, notable : on se rapproche plus de la fin des années 2010. Ce d'où ressort un thème d'actualité, celui des cabinets de conseil, qui œuvrent si l'on peut dire dans le secteur public, et dont l'avènement est présenté comme découlant de la fusion des régions opérée lors du quinquennat 2012-2017. J'ignore comment Mathieu est parvenu à se documenter sur ce sujet, mais la description qu'il en livre est édifiante de vérité, un véritable bijou d'ironie mordante, une frappe chirurgicale sur la connerie humaine. Il m'est arrivé de côtoyer un peu ce monde là, dont je suis fort heureusement éloigné : je ne peux que tirer mon chapeau à l'auteur pour l'observation qu'il en a eu.


Il ne faut pas se mentir : en dépit de son ironie affleurante, le bouquin exsude une sourde tristesse. Le temps qui passe et nous transforme, la jeunesse brève et éclatante qui s'enfuit si vite, la morose monotonie d'une vie professionnelle, qu'elle soit économiquement valorisée ou non, les affres et la décrépitude de la vieillesse. Tout cela entremêlé par les flash backs dont il est question plus haut dans cette chronique. Amené par une construction scénaristique ambitieuse, mais finalement bien réussie.


L'histoire d'un monde qui n'en finit pas de s’effondrer, mais qui est prêt à en reprendre pour cinq ans tant l'espérance et la joie ont disparu. L'histoire d'un ascenseur social pris in extremis par Hélène avant qu'il ne tombe en panne. L'histoire de son erreur qu'elle tentera d'exorciser, bien trop tard, car personne ne l'a attendue. L'histoire du conformisme social dans laquelle chacun, quoiqu'il tente, finit par retourner à sa place. L'histoire d'un triste pays pour lequel une chanson de Michel Sardou constitue l'ultime facteur de cohésion sociale.

Marcus31
8
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le 28 avr. 2022

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