Je n'ai pas pratiqué David Foster Wallace comme écrivain, et ne suis pas mieux renseigné sur sa vie (tout juste assez pour savoir qu'il passerait un mauvais moment dans les médias d'aujourd'hui). Consider the Lobster représente donc une rencontre unique, dont je tire un sentiment d'enthousiasme modéré.
Consider the Lobster est un recueil d'articles tirés de l'expérience de D. F. Wallace comme journaliste ou reporter. Certains sont d'un intérêt très modeste (comme son étude “par le bas” du 11-Septembre dans une ville moyenne de l'Illinois). Les autres se divisent en deux catégories : les reportages (sur les Oscars de la pornographie, un festival du homard ou la campagne de John McCain en 2000) et les études littéraires. Les deux sont caractérisées par la même vertu et le même vice : un imaginaire foisonnant, qui fait monter en neige n'importe quelle circonstance et n'importe quelle idée. Cette méthode d'écriture mène, par la réitération, à de beaux portraits qui finissent par faire le tour de leur sujet (du festival du homard du Maine, de l'ethos personnel de John McCain — d'ailleurs intéressant à relire en miroir de l'élection américaine de 2016, pour tout ce qui distingue “McCain 2000” de Trump, mais aussi pour ce qui peut l'en rapprocher).
À d'autres moments, pourtant, elle lasse en imposant une discussion anarchique (ainsi du long essai cherchant à vider la querelle entre descriptivistes et prescriptivistes) ou une quantité de faits triviaux, à l'intérêt douteux (les interminables considérations sur la configuration d'un bus de campagne présidentielle plein de journalistes). Au-delà, on a le sentiment que D. F. Wallace s'affaiblit rapidement lorsqu'il quitte le champ de la description et de la rhétorique (où il est parfois talentueux et drôle : ses pages sur les supplices des homards sont excellentes d'humour pincé) et s'emmêle parfois dans la théorie. Ainsi lorsqu'il critique un argument des descriptivistes : ces derniers déclarent qu'ils sont comme les physiciens, qu'ils décrivent la langue comme elle est ; Wallace croit les contrer en notant que les physiciens sont pourtant des savants, tandis que le descriptivisme accepte que la langue ne soit pas un produit de savants, pointant une (fausse) contradiction ; alors que, dans la métaphore descriptiviste, les locuteurs seraient les atomes, et les linguistes les physiciens. Par cette confusion, Wallace montre qu'il est pris au piège de sa propre conception, d'ailleurs tout à fait respectable, selon laquelle la langue est une norme, et non un fait.