Comme moult habitants de la planète Terre, enfin, du Vieux Continent plutôt, j’ai découvert, enfant, les contes d’Andersen à travers des livres illustrés où étaient recueillis ses plus grands classiques. Je me souviens encore d’ailleurs du petit soldat de plomb unijambiste croqué au moment de sa chute, puis trempé par l’eau des égoûts, ou de l’image saisissante de la petite fille aux allumettes prisonnière minuscule et fragile d’un frimas gigantesque et effroyable. Je me souviens même encore de la pièce colorée de la princesse au petit pois et de cet interminable tas de matelas, alors qu’il n’y avait en soi rien de tape-à-l’œil ! Mais je m’égare. Au sujet des adaptations de Disney, comme déjà bambin j’étais fier d’être un garçon hétérosexuel, j’ai toujours refusé de regarder La Petite Sirène.
J’ai donc découvert cette histoire à travers la plume du Danois, avant que Disney ne la corrompe avec son américanisme bienséant. Eh bien je remercie le petit garçon que j’étais qui s’opposait systématiquement au visionnage de ce dessin animé ! L’histoire de La Petite Sirène est belle, tragique, cruelle et pieuse. Les féministes déclarent qu’un homme ne peut comprendre les souffrances d’une femme, eh bien ici j’ai souffert avec une femme sirène. Son histoire m’a touché, sa passion douloureuse envers le prince est saisissante, et même si certains mécanismes sont grossiers (la femme qui sauve le prince du naufrage et que celui-ci se met à aimer avant qu’elle ne disparaisse est celle qui est choisie par le roi pour être l’épouse de son fils), on ferme les yeux volontiers parce que, quelque part, on est content d’être triste, on ressent l’émotion pathétique de la sirène et c’est tout ce qu’on demande en lisant un conte. La fin est tragique et belle à la fois, embellie par cet aspect pieux qui montre une récompense pour un comportement charitable, en dépit du chagrin. L’influence du christianisme.bien, on nous a souvent menti !
Les fins sont souvent mitigés en matière de joie pure, on n’a pas de fin heureuse, mais plutôt des fins tragiques avec un soupçon d’allégresse, un petit soulagement personnel d’une belle âme qui gratifie un héros malmené par la vie, comme le vilain petit canard qui, même s’il trouve sa voie avec les cygnes, ne gagne pas le respect des autres petit canard pour autant. Celle du Petit Soldat de Plomb, sans le côté pieux, illustre aussi cet équilibre du bonheur et du malheur, le soldat unijambiste brûle dans un poêle, mais aux côtés de la petite danseuse qu’il aime, c’est cruel et mignon à la fois, tragique et beau.
Une liste exhaustive serait rébarbative, mais tous les comptes ont cette puissance inouïe qui prend aux tripes tant les situations sont frappante d’émotions pathétiques par leur simplicité et leur limpidité. Comment ne pas avoir de la peine pour la petite fille aux allumettes ? Pour le sort de Poucette ? Pour Petit Claus d’abord, puis Grand Claus ensuite ? Bref, tous les contes sont puissants par la décharge émotionnelle qu’ils infligent.
Seule la princesse au petit pois, que ma mère trouvait prétentieuse à souhait, possède un parcours aussi agréable que son histoire est courte.
Du très bon, à faire lire aux enfants grandissant pour leur montrer que la vie peut être très cruelle avec certaines personnes, que les règles sont impitoyables, et que, surtout, tout n’est pas rose comme chez Disney. Ce serait les mépriser que des les éduquer avec des univers édulcorés alors qu’il existe les contes !