Sûrement l'un des meilleurs recueils de contes qu'ait pu écrire le maître nouvelliste, comparé au poussif Contes de la Bécasse (cf Critique des Contes de la Bécasse) et se rapproche d'un conteur hors-pair, capable de changer de narrateur comme de décor qu'il s'agisse de la région parisienne, de la Corse et bien sûr de la Normandie. Toutes les nouvelles sont au moins acceptables et au plus parfaites, ce qui rend le recueil malgré son éclectisme, incroyable. Je l'ai vraiment trouvé magistral de par la maîtrise littéraire et stylistique de l'auteur et de par la curiosité de tourner les pages que nous ressentons pour chaque histoire.
Dans sa veine psychologique concernant l'origines des gestes de ses personnages, l'auteur nous présente des actes des plus violents toujours décrits avec son style des plus directs et réalistes. Maupassant nous présente ainsi sa vision de la condition humaine - inspirée vraisemblablement par des faits-divers - et ce qu'elle a de pire : la cruauté dans l'adultère, dans l'abandon matrimonial, dans le meurtre, dans la torture. L'indifférence générale autour duquel évolue le criminel estropié du Gueux nous questionne sur le crime et sur comment les autres peuvent accomplir un crime bien pire. Et dans le même temps, le regard froid et calculateur de l'enfant de Coco nous laisse ébahit par tant de malhonnêteté à un âge si précoce.
Mais par exemple, doit-on forcément condamner et doit-on forcément se tenir du côté des accusateurs sans essayer de comprendre l'assassin ? Le lecteur ne peut fermer les yeux et comprend ce geste fatal lorsqu'il voit avec quelle torpeur la vie s'en ait pris à l'innocente veuve d'Une Vendetta ou au menuisier d'Un parricide. Maupassant arrive à nous partager leurs douleurs comme peu d'écrivains peuvent le faire en un une dizaine de pages.
Au delà de ces questions subsidiaires, Maupassant nous livre des contes avec des valeurs sûres qu'il sait maîtrisé comme il a pu le démontrer dans des recueils précédents. Parmi ceux-ci, le thème du passage de la sagesse à la folie comme dans Le Horla avec Un lâche ou La Confession.
De même, certaines des histoires ici contés qui racontent un épisode précis d'un quelconque narrateur sont des plus efficaces de par la force de leur restitution comme Souvenir ou le très bouleversant Histoire vraie - que je recommande -. Ensuite, La Parure, l'une des plus fameuses nouvelles de l'auteur pérenne notre empathie pour ses personnages tenant d'un conte. Enfin, le recueil contient l'une des plus grandes nouvelles de l'auteur dans le type du fantastique avec La Main. Cette réécriture de La Main d'écorché est meilleure que l'originale et encore plus inquiétante.
Il vivait comme les bêtes des bois, au milieu des hommes sans connaître personne, sans aimer personne, n'excitant chez les paysans qu'une sorte de mépris indifférent et d'hostilité résignée. (...) Il attendait on ne sait quoi, de cette vague attente qui demeure constamment en nous. Il attendait au coin de cette cour, sous le vent glacé, l'aide mystérieuse qu'on espère toujours du ciel ou des hommes, sans se demander comment, ni pourquoi, ni par qui elle lui pourrait arriver.
- Le Gueux