Les livres de Thomas Pynchon ont cette force d'arriver à la fois à embrasser des périodes historiques riches en évènements et à y faire cohabiter une foultitude de personnages tous plus intéressants les uns que les autres.
Contre-jour est, en ces termes, peut être le roman le plus abouti de Pynchon. Il arrive à être le roman le plus long de l'auteur tout en gardant une bonne cohérence avec moins de circonvolutions captieuses que L'arc en ciel de la gravité mais plus de digressions (on en redemande) que Mason & Dixon.
De manière simple, on pourrait résumer le roman par une histoire de vengeance de trois fils qui veulent retrouver les meurtriers de leur père. Malheureusement, ça serait passer outre une abondance de fils narratifs parallèles qui s’entremêlent de manière presque absurde.
On pourrait presque concevoir qu'une bombe imaginaire explose en début du roman. Une bombe qui ferait décoller Le désagrément, appareil volant de la patrouille des Casse cous, dont les aventures ponctueront le roman. L'onde de choc de la bombe traverserait alors les 1500 pages du bouquin propulsant avec elle tous les personnages comme des boules de billards qui rebondiraient sans fin en se croisant ou en se choquant de multiples fois jusqu'à finalement trouver une issue.
Le roman multiplie les lieux comme Chicago, le Colorado, le Mexique, l'Allemagne, les Balkans, Paris, Londres, la Sibérie, Venise et d'après Pynchon lui même "one or two places not strictly speaking on the map at all". Ces lieux servent de point de rencontre pour les différents personnages ballottés au gré des événements historiques : exposition universelle, révolution mexicaine, guerre des Balkans etc... Les gestions des ellipses et des chapitres sont parfois un peu perturbantes (comme quand on retrouve soudainement un personnage qu'on avait perdu 500 pages plus tôt) mais c'est aussi ce qui donne son charme principal au roman.
Les thèmes brassés par le roman sont aussi multiples que les personnages qui l'habitent. Comme on est chez Pynchon, on entend beaucoup parler de sciences et de mathématiques, mais on entend aussi parler de sociétés secrètes, de western, de roman style Jules Verne, d'anarchisme, de cristaux magiques et pleins d'idées aussi improbables les unes que les autres mais qui s'agencent dans un tout parfait. Tout cela rend bien encore une fois la dimension tentaculaire du roman ainsi que sa volonté d'englober un genre de "tout" situé entre les années 1890 et 1920.
Donc oui, comme tout Pynchon qui se respecte, ce n'est pas facile à lire, et il vous faudra sûrement tout donner pour arriver au bout. Mais croyez moi, ça en vaut la peine !