Tout commence par l'enfermement dans une unité de soins pour malades psychiatriques d'un homme qui affirme être un universitaire anglais, professeur de littérature et spécialiste du poète anglais Johnson. Le problème est que Nicholas Slopen est décédé d'un accident de la circulation il y a des mois. L'irruption de cet usurpateur, qui se trouve être le narrateur, dans ce qui reste de la vie de Slopen provoque cet enfermement où il entame la rédaction de son histoire, de leur histoire.
Il est bien compliqué de parler de l'intrigue sans trop en dire, toujours est-il que le thème principal du roman est l'identité. Qu'est-ce qui fait que je suis moi ? Mes souvenirs ou bien mon enveloppe corporelle ? C'est à cette question que tente de répondre le "testament" du narrateur aussi bien par des chapitres autobiographiques que par des comptes rendus de séances avec le psychiatre.
Quand on referme "Corps Variables" de Marcel Theroux on se rend compte qu'on a été basculé dans un style puis dans un autre sans vraiment s'en apercevoir. Thriller psychologique ou récit fantastique, intrigue réaliste ou science fiction, l'auteur ne se fixe pas dans un genre défini et on suit le narrateur au fil de l'histoire. Malgré sa construction prenant différentes formes et puisant dans différents styles c'est le fil chronologique qui donne corps à l'ensemble et dont l'auteur s'éloigne finalement peu.
L'ambiance du récit varie également, assez froid et factuel dans son commencement, c'est un récit beaucoup plus intime qui nous est proposé lorsque que l'on commence à reconstruire les briques de la réalité, pour se conclure dans une belle mélancolie. Tout varie, le rythme lent au début lors de l'exposition de la vie professionnelle et personnelle de Nicholas s'accélère également au fur et à mesure des révélations qui nous sont faites.
La présence des nombreux protagonistes russophones ponctue le récit de mots qui tentent de faire ressentir les subtilités de cette langue aux multiples nuances et interprétations. Marcel Theroux n'en abuse pas mais utilise ce lexique avec justesse. De même son érudition des lettres classiques anglaises maintes fois exposée n'alourdit en rien la lecture. Si les aspects médicaux et purement techniques paraissent un peu vaporeux, c'est sans importance par rapport au propos et ne sont qu'un prétexte à la recherche de ce qui fait l'identité d'un homme.
"Corps Variables" frappe par sa justesse et son ambition dans autant de concision, car c'est en 300 pages que l'on voyage entre les styles, les lieux et les émotions.
Un roman "variable" dans tous ses aspects aussi bien que pour les corps dont il parle mais bien constant dans sa qualité, 9/10
PS: Merci aux éditions Plon de commercialiser des ebooks sans DRM, un des premiers parmi les maisons établies.