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Et si la mort n’était qu’un début ? Une réactualisation tragicomique du mythe de Frankenstein

Puisque le Professeur Slopen est mort en 2009, qui est donc cet individu, enfermé en 2010 dans l’unité pour malades difficiles d’une institution psychiatrique, et qui affirme avec tant d’insistance, et tant de souvenirs crédibles, être ce même homme ?


«Je m’appelle Nicholas Patrick Slopen. Je suis né à Singapour le 10 avril 1970. Je suis mort le 28 septembre 2009, broyé par le passage de roue d’un camion devant la station de métro Oval.
Ce document est mon testament.
Comme on le comprendra bientôt, je dispose d’un laps de temps indéterminé mais assurément bref pour expliquer les événements menant à ma mort, et pour établir la continuité de mon identité depuis. En raison des contraintes qui me sont imposées, j’espère que le lecteur ne m’en voudra pas de renoncer aux subtilités habituelles d’une autobiographie.»


Interpellé et enfermé après avoir pénétré par effraction dans le domicile de Slopen, cet homme rédige donc le témoignage-testament de celui qu’il prétend être : Nicholas Slopen, universitaire relativement médiocre et spécialiste quasiment obsessionnel de l’écrivain britannique Samuel Johnson (1709-1784).


La vie plutôt routinière de Slopen a basculé après qu’il ait été appelé par un certain Hunter Gould, excentrique magnat de l’industrie musicale, pour expertiser des lettres attribuées au Dr Samuel Johnson. Lorsque Slopen, qui a initialement reconnu l’authenticité des lettres, a compris en manipulant les originaux qu’elles étaient l’œuvre d’un faussaire, il a été embarqué dans une aventure aussi inattendue que vertigineuse.


Imbroglio parfaitement maîtrisé, où s’entremêlent les obsessions littéraires, les personnages ambigus, un idiot prostré et faussaire de génie ou une fascinante boiteuse, le programme expérimental de savants soviétiques né des affrontements de la guerre froide et récupéré par le capitalisme, «Corps variables», cinquième roman de Marcel Theroux paru en 2013, et traduit en français en 2015 par Stéphane Roques pour les éditions Plon, forme une œuvre littéraire hybride passionnante, un thriller fantastique, miroir de notre époque où la technologie qui envahit le corps questionne la nature de l’identité humaine, et hommage aux écrivains qui suggère en filigrane que les écrits littéraires contiennent l’essentiel de la personnalité de leur auteur.


«Parfois je me réveille à l’hôpital avec une douleur dans la poitrine qui me donne l’impression que mon cœur se brise. Oui, que mon cœur se brise. Ma description manque de valeur médicale ou littéraire mais ça n’arrange rien de savoir que ma maison de souffrance est murée et barrée de clichés. Larmes, cœur brisé, pitoyables illusions de ciels larmoyants et de crépuscules sanglants : ces choses ne sont pas d’insignifiantes approximations d’expériences vécues, elles sont le nerf et la fibre même de la vie humaine. Je n’ai jamais été whorfien, et pourtant j’ai fini par m’apercevoir que nous sommes faits de mots.»


«Johnson a trouvé la phrase parfaite. Dans une de ses lettres, il écrit que, « dans la mort de ceux qui nous sont proches, la continuité de l’être est lacérée ». La continuité de l’être. La personnalité humaine n’est pas un objet, c’est un processus, un état en constant devenir, soumis à un réseau d’interdépendances, nous liant les uns aux autres par d’invisibles filaments, à notre époque, à nos souvenirs et possessions, aux évolutions de notre moi. Même cette métaphore exagère probablement la solidité et l’intégrité de la personnalité humaine.»


Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/05/29/note-de-lecture-corps-variables-marcel-theroux/

MarianneL
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le 29 mai 2015

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