Première critique d’un roman de Philip K. Dick sur ce blog. Même pas peur. Ce roman injustement considéré comme une oeuvre mineure est d’ailleurs plutôt bon.
- Jason Taverner, célèbre chanteur et animateur télé, quitte le studio où il vient d’enregistrer le prochain épisode de son émission suivie par 30 millions de téléspectateurs. Agressé par une ex revancharde, il est transporté à l’hôpital. Il se réveille le lendemain matin dans une chambre d’hôtel miteuse, sans papiers d’identité, mais en possession d’une enveloppe plein de billets. Après plusieurs coups de téléphone, il réalise que ses proches semblent n’avoir jamais entendu parler de lui : ni son agent, ni sa maîtresse, ni personne. La Seconde Guerre Civile vient seulement de se terminer, et de nombreux barrages de police contrôlent l’identité des passants. Si Taverner est arrêté sans documents d’identité, il sera envoyé dans un camp de travail. Il doit donc rapidement trouver un faussaire et tenter de résoudre le mystère de ce monde où son existence a été totalement effacée…
Coulez mes larmes, dit le policier est un roman passionnant. Bien sûr, tout le monde connaît les thèmes dickiens et les ficelles sont parfois un peu grosses. Le glissement d’une situation très réaliste vers l’onirique et la réalité alternative se fait ici par petites touches, mais le lecteur familier avec l’oeuvre de l’auteur remarquera assez facilement tous ces petits moments bizarres de décalage. On se laisse néanmoins facilement emporter par le récit, exempt de longueurs inutiles, rythmé, haletant par moments, et le suspense nous amène vers la conclusion avec beaucoup de plaisir.
La qualité du roman repose également sur ses deux personnages principaux, subtils et complexes. Jason Taverner n’est pas particulièrement attachant, mais il n’est pas une ordure dont on se désintéresse non plus. On le suit dans la tourmente, et comme il ne se contente pas de subir les événements, on accompagne ses efforts pour se sortir d’une situation hallucinante, dans tous les sens du terme. Quant au général de police Felix Buckman, il n’est pas la caricature du sadique autoritaire, et ses actes parfois peu reluisants sont toujours mis en lumière par ses efforts désespérés pour sauver sa carrière et sa vie du pétrin dans lequel sa part d’ombre ne cesse de le repousser. De plus, on sent bien tous les rouages d’un système autoritaire qui compressent les personnages dans des rôles auxquels ils n’adhèrent pas totalement.
Le dénouement du récit nous laisse cependant un peu sur notre faim, même si l’explication rationnelle de tous les événements permet de ne pas réduire cette histoire à une simple chute vers la folie. Cela permet à Dick d’explorer ses thèmes favoris : perception altérée de la réalité, univers parallèles, effets de le prise de drogue hallucinogènes, gouvernements autoritaires, surveillance et répression de masse, etc…
Inspiré par un trip particulièrement intense de mescaline, rédigé sous amphétamines, Coulez mes larmes, dit le policier est un roman important dans la vie et la carrière de Philip K. Dick. Ecrit, de son propre aveu, dans la période la plus sombre de sa vie, il met fin à une longue période de plusieurs années de silence. Le travail est difficile : les multiples crises d’angoisse et de paranoïa de Dick provoqueront d’ailleurs le départ de sa quatrième épouse et de leur fille avant la parution du roman. Le succès critique et public relanceront sa carrière, qui prendra un tour plus spirituel, car plusieurs expériences mystiques liées à ce roman le convaincront de plusieurs aspects prophétiques qu’il tentera de décoder jusqu’à sa mort.
Philip K. Dick : Coulez mes larmes, dit le policier – 1974
Originalité : 3/5. Dans la lignée des thèmes explorés par Philip K. Dick durant la plus grande partie de sa carrière, mais ça reste plus déroutant que beaucoup d’autres.
Lisibilité : 4/5. Remarquablement fluide et agréable.
Diversité : 3/5. Le récit comporte suffisamment de rebondissements pour tenir le lecteur en haleine sans difficulté.
Modernité : 3/5. Il semble bien que les thèmes dickiens soient intemporels.
Cohérence : 4/5. Certains pourraient être déçus par le dénouement, mais l’ensemble reste remarquable.
Moyenne : 6.8/10.
A conseiller à ceux qui veulent découvrir les thèmes de prédilection de Philip K. Dick comme à ceux qui sont familiarisés avec l’auteur.
https://olidupsite.wordpress.com/2020/03/08/coulez-mes-larmes-dit-le-policier-philip-k-dick/