J'ai bien sûr été dévasté par la nouvelle de la mort de sir Terry, que je lis depuis 20 ans, et n'arrive encore pas à croire que je viens de finir la pénultième annale du Disque-Monde.
Et pourtant, c'est une (légère) déception. Le problème majeur de cette annale est qu'elle met un temps fou à démarrer dans son intrigue. Et qu'elle a un goût prononcé de déjà-lu. On sent que Pratchett aime beaucoup Sam Vimaire et qu'il a très envie de bousculer coquettement la société des aristocrates ruraux repliée sur elle-même et ses certitudes d'un autre temps, déjà dépeinte au vitriol parfumé à la rose par Jane Austen. Sam Vimaire, commissaire divisionnaire du Guet municipal d'Ankh-Morpork, duc d'Ankh et responsable du tableau, part se mettre au vert, poussé gentiment mais fermement par sa femme, Dame Sybil Ramkin, richissime, influente, au caractère si exquis et convaincant qu'elle pourrait faire plier une barre d'acier renforcé juste en la regardant.
Mais ce qui ne devait être qu'un bon moment passé avec son fils et le caca de différents animaux va forcément se compliquer lorsque le premier cadavre va apparaître. Au bout de 200 pages, certes, mais si c'est votre 34e annale, vous savez que Pratchett est très bavard, surtout dans ses dernières années.
Le gros problème de cette annale, cependant, est qu'elle rappelle ÉNORMÉMENT "Jeu de Nains", dans l'aspect "tolérance envers l'autre(même si on dépasse le cadre du racisme vers celui de l'esclavage)"/"Sam Vimaire va faire quelque chose sur le fil de tellement extraordinaire qu'il va bouleverser l'ordre établi"/"Et il s'en sortira avec une tape sur la main."
L'humour y est caustique, voire parfois cynique, comme dans les précédents romans du Disque-Monde. On ne rit plus beaucoup depuis quelques temps, Pratchett distillant sa colère intérieure dans ses mots. Je vous conseille d'ailleurs, si vous ne l'avez pas encore lu, cette tribune de Neil Gaiman sur Pratchett, avec lequel il avait co-écrit De Bons Présages : http://www.theguardian.com/books/2014/sep/24/terry-pratchett-angry-not-jolly-neil-gaiman
Le rythme est un peu bancal, et je me suis surpris à m'ennuyer. M'ennuyer. En lisant un roman du Disque-Monde. Pas autant que devant "Allez les Mages", mais c'est vous dire ma détresse. On n'y voit hélas que très peu le Guet d'Ankh-Morpork (même si les passages où on voit Carotte, Angua, Fred Côlon, Chicard Chicque et Hilare Petitcul sont les plus réussis). Et, comme c'est devenu une habitude, la résolution est plus suggérée qu'elle n'est montrée sur le papier, ce qui laisse un très léger sentiment de frustration chez le lecteur.
Et, surtout, Vétérini est mal écrit. Je sais, écrire une telle chose me fait passer plus pratchettien que Pratchett, mais le voir s'emporter devant une grille de mots croisés et dire les choses sans sous-entendus, circonvolutions et métatexte à Vimaire est pour le moins déstabilisant.
Tout n'est pas à jeter, évidemment. Les relations entre Vimaire et son fils Sam sont un régal à lire, de même que la maladresse du duc d'Ankh dans ses habits empruntés de nouveau riche, et la description de la société gobeline. Le climax du livre est également un bonheur.
Mais Sam Vimaire est un personnage qui nous est si familier, si droit, si mûr et si capable que l'histoire manque de tension.
On sait d'avance que le Commissaire va se sortir de l'aventure dans laquelle il est entrée sans douleur, en étant toujours le même, et sans que sa famille soit blessée ou réellement mise en danger. Et le méchant du livre n'est vraiment pas intéressant.
Serais-je déçu parce que je sais que c'est la dernière annale avec Sam Vimaire, et que j'aurais aimé plus d'Ankh-Morpork, moins de hobereaux somme toute à peine effleurés ? Ou bien ai-je lu ce livre en essayant de toutes mes forces de ne pas penser à la maladie de Pratchett et à la façon dont elle affectait son écriture sans vraiment y arriver ?
Je chipote, sans doute. Parce que j'adore les Annales du Disque-Monde. Les meilleures ont été écrites il y a longtemps, mais celle-ci reste de bonne facture.