Apparu dans le paysage médiatique depuis la parution de ce livre, Juan Branco appartient à ce qu'on appelle communément, à défaut d'être plus exact, la gauche radicale. Je m'en réclame aussi et je m'en suis presque voulu d'à ce point manquer d'indulgence pendant la lecture de ce texte, tant je me voyais reproduire le jeu des petites divisions idiotes auquel la gauche se livre perpétuellement. Branco ne mérite d'ailleurs probablement pas qu'on soit aussi virulent que je le suis à son égard, puisqu'on peut au moins lui reconnaître le courage de défendre bénévolement les Gilets jaunes et de vivre, à l'en croire, très chichement de ses activités d'avocat (Crépuscule est d'ailleurs dispo gratuitement en pdf : http://www.gillesclement.com/fichiers/_communique_02518_macron-et-son-crepuscule-3.pdf)
J'ai pourtant émis une première réserve dès l'introduction : Branco écrit mal, et c'est d'autant plus visible et irritant que son style pompeux dessert son propos. Le récit se perd en d'innombrables digressions plus ou moins justifiées, là où les liens qu'il essaie d'établir entre les uns et les autres réclamaient un peu de clarté - faute de quoi on est tenté de zapper ces énumérations de noms et de simplement lui concéder qu'effectivement, tout ce petit monde a l'air d'une grande consanguinité.
J'ai fini par conclure de cette prolifération de phrases alambiquées qu'elles étaient en fait une excentricité plus ou moins assumée. J'ai du reste la même tendance que lui aux phrases longues. Mais Branco, lui, n'aspire pas à l'efficacité et se complaît dans une syntaxe complexe, sinon carrément incorrecte. Il faut traverser les phrases en apnée, dans l'interminable attente d'un point qui ne vient jamais, parce que Branco a préféré y substituer un tiret ou un point virgule.
Pour citer encore quelques-uns de ses délires, et après j'arrête : il remplace systématiquement le mot "personnes" par le mot "êtres", le mot "dans" par le mot "en" (jusqu'à l'absurde) et raffole de l'inversion sujet-verbe.
J'ai peut-être d'autant plus éprouvé les défauts de ce livre que j'étais déjà convaincu par ce qu'il cherche absolument à présenter comme des révélations inédites. Il est assez présomptueux pour croire que son texte fera définitivement tomber les masques, comme si la corruption, l'entre-soi, les mécanismes de reproduction, l'usage des médias comme arme de propagande n'étaient pas déjà connus et n'avaient pas été maintes fois démontrés. Comme s'il suffisait de les exposer pour qu'ils s'effondrent. Il y a d'ailleurs peut-être un paradoxe à vouloir faire passer son livre pour le révélateur d'une trahison de la démocratie alors même qu'il commence son livre en citant un sondage d'après lequel un Français sur deux souhaiterait la démission de Macron. Un sondage dont il aurait aussi pu mentionner qu'il date du 5 décembre 2018, soit le moment où les Gilets jaunes étaient le plus puissants et Macron le plus fragilisé. J'ai beau détester Macron et être convaincu qu'il n'a le soutien que d'une minorité de Français, je n'arrive pas à croire que 50% d'entre eux veuillent le voir démissionner.
Une large partie du livre incrimine la grande complaisance des médias français à l'égard de Macron, qui ont permis son ascension fulgurante. Je le rejoins là-dessus, et le rôle de Mimi Marchand dans cette entreprise-là est scandaleux. Quoique la concernant, Branco se contente presque uniquement de citer l'ouvrage Mimi, ce qui est dommage tant il fait partir tout son récit de là.
Ce matraquage médiatique, il l'attribue à la mainmise de quelques milliardaires sur l'actionnariat des médias en France, et manque un peu de rigueur dans cette démonstration. Il me semble évident que ces actionnaires ont un intérêt à ces investissements dans les médias. Et puisque ces intérêts ne sont pas financiers, il s'agit probablement de guider la ligne éditoriale de leurs médias. Je n'arrive pourtant pas à admettre tout à fait que ces milliardaires soient l'unique cause de l'homogénéité idéologique des médias, leur emprise directe sur les rédactions demeurant relativement limitée. Je crois qu'il faut aussi expliquer ça par l'origine sociale des journalistes, dans une très large proportion issus de milieux bourgeois, et mon expérience en école de journalisme en témoigne. On ne pense évidemment pas le monde avec le même prisme selon d'où l'on vient. C'est là encore un système de reproduction, or Branco a précisément écrit Crépuscule pour dénoncer ces systèmes de reproduction. Comment se fait-il qu'il ne les voit plus à cet instant? L'oligarchie capitaliste a ses relais et ses adeptes, sans quoi elle ne tient pas.
Branco démontre à d'autres reprises ses lacunes quand il s'agit de penser le phénomène qu'il raconte. Il a à n'en pas douter conscience des mécanismes sociologiques qui se jouent ici mais il est finalement plus acerbe avec les personnes qu'avec le système, alors qu'il faudrait à mon sens faire strictement l'inverse. Cette fixation sur Macron puis sur le secrétaire d'Etat Gabriel Attal sont assez peu fertiles. Tout juste rappelle-t-il un instant que ce système oligarchique existait déjà sous Giscard ou Balladur - mais c'est pour mieux démontrer que Macron en incarne le paroxysme. C'est à croire qu'avec d'autres personnes et avec une république renouvelée, Branco pourrait finalement consentir au néolibéralisme, à la société industrielle, peut-être même au capitalisme. Tout semble domesticable du moment que la question de la représentativité et de la corruption auraient été réglées. Ces questions sont imbriquées, le libéralisme et son rapport à la démocratie ont une histoire et elle n'est pas reluisante. Quand les violences policières sont évoquées, on n'évoque pas dans le même temps qu'elles sont inhérentes à l'Etat, particulièrement dans sa forme néolibérale actuelle. Ce livre est finalement moins féroce que ne le fantasme son auteur.
On trouve quand même de rares passages où il pense un petit peu le phénomène qu'il observe :
L’idéologie républicaine se révèle en cela néfaste, faisant croire,
par la supposée universalité objectivante du baccalauréat et de ses
concours, qu’il y aurait en la réussite gloire individuelle là où le
système se contente de faire de vous un soldat à son service, victoire
sur l’ensemble de la société là où seule une concurrence entre gens
bien nés a été organisée. Les statistiques les plus féroces démontrant
à quel point l’éducation nationale est devenue une machine à triturer
ne suffiront jamais à convaincre ceux qui auront été sacrés par le
système, et a fortiori les rares qui, provenant des milieux des plus
modestes, seront mis en avant pour démontrer « qu’il est possible de
s’en tirer », devenant parfois par ignorance et avec une ferveur
redoublée les défenseurs d’un système qui écrase les leurs, mais qui
leur aura permis de se distinguer et de mettre à distance la misère
qui les cernait – en sacrifiant pour cela tout ce qui constituait leur
identité.
[...] une pensée de droite qui s’ignore, convaincue de son bon droit
tant elle est aveuglée par son isolement du reste de la société,
convaincue d’appartenir au camps du progrès en défendant des idées qui
ne menacent en rien ses intérêts.
Je n'irai pas jusqu'à dire que Branco dessert la cause qu'il entend porter, mais je constate quand même sa tendance chronique à confondre corrélation et causalité. Et puisqu'on en est à parler de preuves, il n'en avance aucune pour étayer les quelques révélations véritablement inédites qu'il tire de son enquête. Le plus croustillant se trouve peut-être dans ce qu'il raconte de Gabriel Attal, dont il connaît par coeur le parcours. Pour une raison bien précise : les deux ont fréquenté le même lycée et sont de la même promotion à SciencesPo Paris. Il eut été plus honnête qu'il le précise de lui-même.
Branco se surestime donc, parce qu'il croit dévoiler ce qui a déjà été dévoilé, et parce qu'il s'attaque à un sujet qui méritait plus de rigueur. J'aurais aimé une pensée un peu plus globale sur un système dont il a si mal mesuré l'ampleur qu'il a cru pouvoir lui faire la peau à l'aide quelques formules grandiloquentes et quelques récits de vie.