Nietzsche est un con. Pourtant avant d'arriver à cette conclusion, après avoir lu le "Schopenhauer éducateur" dans ses "Considérations inactuelles", j'avais un a priori très positif à son égard car j'espérais encore qu'il puisse constituer une alternative à la domination insensée de la philosophie idéaliste (Platon, Kant...) dans la pensée occidentale depuis des siècles, pour des raisons bien plus historiques et psychologiques que logiques. Mais dans le clash entre Gainsbourg et Guy Béart, contrairement à l'immense majorité des spectateurs, c'est à ce dernier que va ma préférence face à la posture et à l’arrogance. De mon point de vue, Nietzsche est un peu le Gainsbarre de la philosophie : peu de penseurs ont incarné à ce point dans la culture populaire la figure du génie tout en débitant un nombre impressionnant de truismes idiots faits le plus souvent au doigt mouillé. En relisant le début de l’ouvrage, je dois bien concéder que sa critique de la raison, en tant que vertu professée par les idéalistes, mais aussi de l’essence des choses, « en tant qu’illusion d’optique morale », sont très intéressantes. Elles constituent l’idée principale du livre. Par la suite il y a cette intuition, là aussi brillante, que la morale qui découle de cette vision du monde est contre-nature et qu’il faudrait aller au contraire dans le sens de ses instincts. Enfin, l’analyse faite du point de vue psychologique de « l’erreur de la confusion entre la cause et l’effet » est le dernier coup porté à la pensée occidentale. Malheureusement la deuxième partie intitulée « Flâneries inactuelles » où il disserte sur un peu tout et rien sans prendre la peine de chercher à argumenter, révèle ce qui pouvait seulement se deviner auparavant. C'est-à-dire qu’il s’agit d’un individu extrêmement misogyne, méprisant envers le peuple et complètement mégalomane. A plusieurs reprises lorsqu’il veut dire son dégoût de quelque chose, apparaissent les adjectifs féminins ou plébéiens. A propos de George Sand par exemple il écrit : « Je ne puis supporter ce style de tapisserie, tout aussi peu que l’ambition populacière qui aspire au sentiment généreux. Ce qui reste cependant de pire, c’est la coquetterie féminine avec des virilités, avec des manières de gamins mal élevés […] Et avec combien de suffisance elle devait être couchée là, cette terrible vache à écrire qui avait quelque chose d’allemand, dans le plus mauvais sens du mot ». Sans doute répondrait-il qu’il appelle à voir au-delà de la morale, mais cela est remplacé par un culte de la force et de la virilité qui cache mal la fragilité de l’auteur devant s'effondrer un an plus tard. Par exemple lorsqu’il écrit : « Le malade est un parasite de la Société. Arrivé à un certain état il est inconvenant de vivre plus longtemps. L’obstination à végéter lâchement, esclave des médecins et des pratiques médicales, après que l’on a perdu le sens de la vie, le droit à la vie, devrait entraîner, de la part de la Société, un mépris profond. » Enfin cela confine au ridicule lorsqu’il affirme (sans rire) : « J’ai donné à l’humanité le livre le plus profond qu’elle possède, mon Zarathoustra : je lui donnerai sous peu son livre le plus indépendant. » Pas étonnant qu’il ait été l’un des principales sources d’inspiration pour Michel Onfray, lui qui glisse doucement vers la même pente.