À qui a-t-il échappé que Nietzsche fut l'interprète de l'antiraison ? Quel signe de folie que de croire qu'il est possible de raisonner contre la raison ! Et c'est une façon très nietzschéenne que de se faire l'inventeur d'une surraison, cela excite l'orgueil de dire « je pense par-delà la raison ». Quiconque a lu Nietzsche lui a remarqué cette passion débordante pour le « créationnisme », il est à comprendre par là la création de théories sur les origines de telle chose. Voilà le meilleur ami de Rousseau, dommage ! il perdit la raison et l'oublia. La raison, la science, la rigueur, le système, l'humanité : ces mots sonnent faux chez Nietzsche, ils ne permettent pas de cultiver la différence, ils sont les signes de la conformité, de la contrainte, de la faiblesse ; en bref, ils affirment la dégénérescence de l'homme.
Cette perspective du monde, c'est finalement celle de son Origine de la tragédie, le culte de l'art dyonisiaque, le créateur informe, naturel, hasardeux. Son caractère éphémère lui confère sa perfection, il ne possède pas de forme, comment pourrait-il échouer, comment même pourrait-on le juger ? Mais la raison, cette bâtarde ! Comment osa-t-elle dénaturer la perfection même ? Si nous concédons bien que la raison fit disparaitre ce sentiment de perfection de l'art dyonisiaque, c'est qu'elle tient en réalité une qualification de l'art, que loin de l'abâtardir, elle le sublime. La raison pare l'art d'habits et de bijoux, l'ennoblit par ses règles, le juge par le concept du beau. L'art, disons appolinien, reste l'art pour l'art ; il n'est plus une expérience, une représentation de la nature, il ne devient pas non plus un travestissement, un artifice de la nature, non, cet art forgé par la raison, il devient sa propre nature : n'est-ce pas là ce qu'on appelle l'imagination ?
Que cherche la nature ? Que cherche l'art ? Que cherche la raison ? Que cherche finalement l'être humain ? Nietzsche n'a pas trouvé la solution, disons qu'il ne l'a jamais vraiment cherchée, et comment d'ailleurs aurait-il pu s'orienter, lui le négateur ? Mais nous lui connaissons sa réponse pyrrhonienne : rien. Malheureux Nietzsche ! Il s'agit de l'harmonie, la confluence d'essences duelles, la fusion de chaque individualité pour former un tout cohérent. Loin de chercher à s'éloigner, si l'individu s'élève, c'est pour chercher à attirer les autres auprès de lui, de les tirer de l'ombre de leurs croyances, de la médiocrité de leur aboulie, en d'autres termes, de leur enseigner ce que c'est qu'être humain. Tout ça ne faisait pas partie du « plan » de Nietzsche, vous voulez savoir à quoi correspond le surhomme nietzschéen, tas de crédules ? C'est l'homme historique divinisé. Ainsi Nietzsche n'a-t-il jamais été autre que prophète, il prêchait pour lui-même, pour « devenir ce qu'il est » (ou plutôt croyait être), le nouveau Jésus.