Un bon travail d'historien, est selon moi composé à la fois d'un solide arrière plan empirique (les sources en gros), et d'un travail de théorisation et d'historiographie. Je pense que Croire et détruire est parfaitement réussi dans ses deux aspects.
L'aspect le plus original du livre c'est le fait qu'il s'inspire en grande partie d'ouvrages et de thèses qui n'appartiennent pas directement à la période étudié. Déjà "14-18 : retrouver la guerre" est cité à de nombreuses reprises ce qui peut sembler surprenant, puisque les sujets (les intellectuels SS ici défini comme tous les Akademiker c'est à dire ceux ayant été thésard) étaient encore enfants lors de la Première Guerre Mondiale. J'y reviendrai. Par ailleurs, il y a également un fort apport au niveau théorique des travaux de Denis Crouzet, sur les guerres de religions. Dans les références plus classiques on retrouve les grands noms de l'école fonctionnaliste (Browning entre autres).
La thèse principal du livre c'est que la guerre de 14-18, et ses environs immédiats (une atmosphère de guerre civile, dans lequel beaucoup de futurs nazis font leurs premières armes s'installe en Allemagne), a créé une culture du consentement à la violence (dans le sens, que l'on inflige aux autres), qui si elle n'est pas la cause de la Shoah, l'explique en grande partie. Tout cela est argumenté de façon très convaincante par Ingrao. Donc les enfants de soldats de la Grande Guerre, plus exposé à la propagande et non à la réalité de la guerre, ont été désensibilisé à la violence envers l'ennemi. Par ailleurs, tout les parties völkish ont cultivés différents mythes, que l'on retrouvera dans le camp hitlérien (le mythe du coup de poignard dans le dos, par exemple).
Travail à la fois d'anthropologie historique et d'histoire des intellectuels sous le nazisme, Ingrao fait de cette ouvrage tiré de sa thèse, un ouvrage qui fera date.