Outch ! Après Pike, Benjamin Whitmer en remet une couche et nous montre une Amérique en perdition. Ses personnages se laissent submerger par la tristesse, ils baissent les bras, sachant le combat perdu d’avance. Aucun espoir dans ce roman, même si les figures féminines apportent une petite note de sagesse, elles ne se font pas d’illusions, disons juste qu’elles sont peut-être un poil plus combatives que leurs hommes. Des hommes qui ont eux depuis longtemps baissé les bras, trouvant leur salut dans une fuite en avant semée d’embûches et d’excès en tout genre.
Depuis le décès de son jeune fils suite à une erreur médicale, Patterson Wells sillonne les zones sinistrées par les ouragans et autres catastrophes naturelles afin de déblayer les décombres et de remettre en état les réseaux électriques. A la fin de chaque saison, il retourne avec son chien dans la cabane en bois qu’il a construit de ses propres mains, au fin fond des forêts du Colorado. Il survit en ermite, enchaînant les cuites en attendant le prochain lever de soleil. Le jour où il rencontre Junior, dealer, bagarreur et grand consommateur de cocaïne, Patterson sait qu’il noue une relation avec le diable. Une relation toxique qui va l’entraîner toujours plus près d’un précipice l’attirant comme un aimant.
Cry father, c’est l’Amérique dont personne n’a rien à cirer. Bienvenue chez les camés, les paumés, les sans grades. Bienvenue dans un monde régit par une violence qui surgit sans crier gare. Mettre une raclée ou prendre une branlée, tel est le quotidien de Patterson et Junior. Un duo à la dérive, ayant parfaitement conscience de filer droit sur les récifs, mais ne faisant rien pour résister au courant. La haine d’un monde dans lequel ils n’ont pas leur place chevillée au corps, ces deux-là avancent de concert vers l’inéluctable et le lecteur, pas dupe, sait très bien que les choses vont mal tourner…
Cry father, c’est une noirceur totale, brutale, sans aucun brin de lumière. L’écriture, âpre et concise, se fait parfois lyrique tandis que chaque dialogue est d’un réalisme criant. Il y a quelque chose de profondément immoral dans ce texte abrasif. Il y a aussi tout ce que j’aime dans la littérature américaine d’aujourd’hui.