Nous sommes fin décembre 1943, dans la Rome occupée, un prêtre irlandais, attaché au Vatican, monte un réseau pour exfiltrer des prisonniers de guerre alliés évadés…

« Que votre cœur ne se trouble pas ! Croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. Si ce n'était pas le cas, je vous l'aurais dit. Je vais vous préparer une place. » Jean 14 : 2-3. Comme souvent dans la Bible, la maxime est ambiguë et prête à plusieurs interprétations, ne comptez pas trop sur l’abominable mécréant qui vous parle, pour vous donner une analyse crédible.

On peut imaginer qu’ici, « demeures » signifie lieux d’habitation et plus précisément lieux d’hébergement des fugitifs qui fuient les nazis et que « la maison de mon Père », le temple, au temps de Jésus, serait la Basilique Saint Pierre et par extension l’État de la Cité du Vatican qui, de par son statut officiel de neutralité, assure une relative sécurité à ses résidants.

Un peu simpliste comme explication du titre de l’ouvrage de Joseph O’Connor, ne trouvez-vous pas ?

Joseph O’Connor est un écrivain irlandais né à Dublin le 20 septembre 1963 (une date à retenir par les futurs lecteurs car on la verra ressortir dans le cours du livre !). Il étudie à l’University College à Dublin puis à Oxford, il commence à écrire à plein temps en 1989. Pendant 10 ans, il est journaliste pour The Esquire et l’Irish tribune.

Il est l’auteur d’une quinzaine de livres. "La maison de mon Père", édité en France en 2024, est son dernier ouvrage.

Mais avant de voir ce qui se passe dans la maison de mon père, un aperçu du contexte s’impose, parce que c’est loin tout ça et les souvenirs que j’en ai me semblent plus qu’un peu flou !...

L’Italie :

L’Italie entre en guerre le 10 juin 1940 contre la France. Entre 1940 et 1941 nombreuses défaites de la flotte italienne, en Méditerranée, contre les anglais. L’attaque contre les anglais en Égypte se solde par un échec, Rommel doit prêter main forte en Libye. Dès les premières années de guerre l’Italie perd son empire.

• Avec 240 000 hommes l’Italie participe à l’opération « Barbarossa » en URSS. Un échec cuisant, en 1942, 85000 hommes sont faits prisonniers ou meurent de froid ou de faim. En 1943, bloqués en Égypte, allemands et italiens abandonnent l’Afrique.

• Le 10 juillet 1943 les alliés débarquent en Sicile. Pietro Badoglio devient premier ministre, déclare la dissolution du Parti Fasciste mais annonce la continuation de la guerre aux côtés des allemands. Deux mois plus tard, il signe l’armistice avec les alliés (sortie de l’Italie de la guerre). Badoglio, le roi et sa cour abandonnent Rome et se réfugient à Brindisi, déjà sous le contrôle des anglais.

• Déjà présents en Italie du Nord, les allemands occupent Rome, les plus importantes villes du Centre-nord et les voies de communication.

• Le Sud de l’Italie (Royaume du sud), commandé par Badoglio et par le roi, est aux mains des alliés qui remontent péniblement vers le Nord. À la fin de 1943, l’Italie est donc partagée en deux.

• Des groupes de partisans se forment dans l’Italie occupée. À partir du 9 septembre 1943 est créé le CNL (Comité de libération nationale) qui va collaborer avec Badoglio pour la libération de l’Italie du fascisme et des occupants allemands.

• En juin 1944 Rome est libérée par les forces alliées, Badoglio démissionne et est remplacé par Ivanoe Bonomi. Umberto de Savoie remplace Victor Emmanuel III.

Le Vatican et Pie XII :

Le Vatican se compose de deux entités juridiques distinctes : le Saint-Siège, entité spirituelle, et l'État de la Cité du Vatican, entité temporelle. L'État de la Cité du Vatican est une monarchie absolue, de droit divin et élective, dirigée par le Pontife romain et évêque de Rome. Pour la période qui nous intéresse, il s’agit d’Eugenio Maria Giuseppe Giovanni Pacelli, né le 2 mars 1876 à Rome, élu le 2 mars 1939 (à 63 ans) à la suite du décès de Pie XI. Il prend le nom de Pie XII. Il exercera son pontificat jusqu’à sa mort le 9 octobre 1958.

Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-1945) :

• Dès son élection, Pie XII oriente sa diplomatie pour éviter la guerre sans prendre parti. Il déclare au roi d'Italie le 24 août : « rien n'est perdu avec la paix, tout est perdu avec la guerre » et, après la déclaration de guerre, tente d’user de son influence pour que l'Italie reste hors du conflit.

• Il condamne les différentes formes de racisme. Il se dresse, mais sans les nommer, contre le nazisme, le fascisme, le communisme et le libéralisme sans Dieu comme responsables de la guerre. Lors de la chute de Varsovie, il dénonce les persécutions contre les civils mais ne se joint pas à la condamnation franco-britannique de l'invasion de la Pologne craignant pour la sécurité des catholique allemands. La neutralité vaticane veut protéger les non belligérants sans soutenir le camp des Alliés, ni celui des régimes totalitaires.

• Comme évêque de Rome, le pape agit pour les juifs de sa ville. Le Vatican passe du stade des déclarations à celui d'actions concrètes, à la portée limitée, tardive et symbolique pour ses détracteurs, ou significative pour ses défenseurs (Dès septembre 1943, devant l'arrivée des Juifs venus de l'Italie du Nord, l'Église a accordé le refuge à 477 Juifs à l'intérieur du Vatican, à 4238 autres dans des monastères et couvents italiens des environs, sur ordre 3000 sont logés à Castel Gandolfo et 400 enrôlés dans la Garde pontificale. D'après le témoignage du secrétaire du nonce apostolique en Haïti à l'époque, 1600 visas furent obtenus chaque année de 1939 à 1945 sur la demande de Pie XII, ce qui permit de sauver directement environ 11000 juifs).

• …

L’Irlande :

L’Irlande revendique le droit à la neutralité dans ses relations internationales.

Historiquement, elle s'est notamment manifestée par le fait que l'Irlande n'a pas pris part à la Seconde Guerre mondiale et n'a jamais adhéré à l'OTAN, sans pour autant négliger son adhésion à l’Union Européenne et adopter l’Euro. Mais l’Irlande n’en est pas à une contradiction près, et pendant la seconde guerre mondiale… :

• Les pilotes allemands qui se posèrent (de façon imprévue) en Irlande furent internés. A contrario, les pilotes alliés dans la même situation furent dans la plupart des cas autorisés à regagner le territoire britannique.

• Des avions alliés, majoritairement des avions américains livrés aux Britanniques, furent autorisés à survoler un passage dans le territoire irlandais.

• Des avions alliés purent aussi se ravitailler à l'aéroport de Shannon.

• Quelque 70 000 Irlandais combattirent dans l'armée britannique comme volontaires.

• Quelque 200 000 Irlandais allèrent travailler en Grande-Bretagne pour l'économie de guerre.

• L'Irlande continue à fournir ses relevés météorologiques aux Britanniques qui furent utilisés pour préparer l'opération Overlord.

• Lorsque Belfast fut bombardée en avril 1941, les pompiers d'Irlande du sud furent envoyés en assistance à leur collègues d'Ulster

Pas étonnant que notre héros, Hugh O'Flaherty, ait été si récalcitrant !

Hugh O'Flaherty :

Hugh O’Flaherty(*) naît le 28 février 1898 à Kiskeam, dans le comté de Cork (Irlande). Boursier, il entreprend des études pour devenir enseignant avant d’être admis, en 1918 au collège jésuite Mungret à Limerick pour devenir missionnaire. On l'envoie achever ses études à Rome en 1922 où l’évêque du Cap, en Afrique du Sud, finance ses études. Hugh O’Flaherty obtient des diplômes de théologie, de divinité, de droit canon et de philosophie. Il est ordonné prêtre le 20 décembre 1925. Il est nommé ambassadeur du Vatican en Égypte, Haïti, Saint Domingue et Tchécoslovaquie. En 1934, il est nommé Monsignore (titre d’appel donné à des personnages puissants, tels les membres de la haute aristocratie française ou du haut clergé). Attaché au Saint-Siège dès 1925, durant l'occupation de Rome pendant la Seconde Guerre mondiale, il profita de sa position pour sauver entre 4000 et 6000 Juifs et soldats alliés, sans la permission de Pie XII.

Alors, nous y voilà !

Le livre décrit avec précision et moult détails les préparatifs et l’exécution d’un "Rendimento" (une action) – comme il y en a déjà eu un certain nombres – minutieusement préparé par le réseau mis en place, depuis le Vatican, par Monsignore Hugh O'Flaherty et son groupe.

Ainsi vont s’affronter les ombres de Pie XII et d’Hitler sous les traits de l’Irlandais Hugh O’Flaherty – chapelain de Sa Sainteté, pédagogue et diplomate du Vatican, golfeur et champion de boxe – et de l’Obersturmbannführer Herbert Kappler (alias l’Obergruppenführer Hauptmann) – SS modèle, figure exemplaire de la « bourreaucratie » hitlérienne.

L’opération est programmée pour la nuit du 24 décembre 1943 en espérant que la nuit de Noël sera propice à un relâchement de la surveillance allemande et de la milice fasciste. Elle a pour but de venir en aide à des centaines de prisonniers évadés – britanniques pour la plupart, en provenance d’Afrique du Nord – répartis dans diverses caches romaines (monastères, couvents ou autres) pour leur permettre de rejoindre la Suisse.

Des combles d’un bâtiment désaffecté, O'Flaherty, en a fait un lieu de répétition d’un chœur de chanteurs improvisés, dont l’Ambassadeur de Grande Bretagne, Francis D'Arcy Osborne, ainsi que sept ou huit autres personnalités qui reçoivent d’O'Flaherty des instructions orales, à exécuter, rendues inaudibles à toute oreille indiscrète sous les vocalises des artistes passionnés.

De chapitre en chapitre, de préparatifs en incidents on suit la montée de l’adrénaline et la croissance du suspense avec comme toile de fond l’ordre et le spectre de l’Obergruppenführer Hauptmann qui a demandé à ses hommes de se saisir d’O'Flaherty dès qu’il franchira les limites du Vatican, de le conduire au siège de la Gestapo pour interrogatoire et de le supprimer lors d’une tentative d’évasion…

Le récit est enrichi des témoignages des membres du groupe qui se souviennent, vingt ans plus tard, de leur aventure romaine et ce sont des documents détaillés et riches tels que : « Voix de X… Transcription d’un entretien de recherche de la BBC… » ou « Mémoires non datés, non publiés, rédigés après guerre… » ou encore « Témoignage écrit en remplacement d’un entretien ». Autant de gages d’authenticité.

Le style est fluide et direct, les descriptions fréquemment en phrases nominales, courtes, participent au suspense palpable : « Élégants couturiers, joailliers, chemisiers, hôtels de luxe. Mitrailleuse allemande montée sur pilotis noirs au carrefour nord à soixante mètres. Il voit les trois soldats de la tour de guet. Silhouettes sur fond de lune. Miroitements de jumelles à vision nocturne. Virage dans une petite rue d’immeubles bourgeois. Automobiles éclatantes sous les ormes. Lions de pierre couchés au-dessus des fenêtres à meneaux. Plaques de cuivre des sonnettes étincelantes flanquant les portes… »

Ma pierre d’achoppement se situe au niveau des témoignages, a posteriori, des membres du groupe :

Ou ils sont authentiques et fourmillent de détails de toutes sortes qui permettent de se replonger dans l’atmosphère de l’époque et d’apprécier la personnalité de chacun.

Ou ils sont fictifs et de nombreux détails deviennent superfétatoires et, à mon sens, leur suppression pourrait alléger le texte (et les quelque 430 pages).

Il n’en demeure pas moins que l’intrigue est bien menée et, jusqu’à la fin, le suspense est palpitant. Mais je ne suis pas rassasié, et ne peux m’empêcher d’entendre une petite voix qui me susurre à l’oreille « Tout ça pour ça ? ... »

« Bien que des personnes et des événements réels aient inspiré cette fiction qu’est Dans la maison de Mon Père, il s’agit d’un bout à l’autre d’un roman. Des libertés ont été prises avec les faits, les personnages et la chronologie. […] Tous les autres documents présentés comme officiels dans ce roman sont en réalité de pures fictions. »

.

(*) Après la guerre, O’Flaherty reçoit de nombreuses distinctions dont l'ordre de l’Empire britannique et la médaille de la Liberté américaine avec la palme d’argent. Il refuse la pension que veut lui verser l’Italie en remerciement de tous ses services. Il décède le 30 octobre 1963 à l’âge de 65 ans à Cahersiveen, dans le comté de Kerry, Irlande.

Philou33
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le 16 juil. 2024

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