"Dans la toile du temps " est un roman qui n' a pas froid aux yeux et il faut rendre hommage à l'auteur, Adrian Tchaikovsky d'avoir ainsi osé une trame qui se déroule sur des millénaires et qui englobe non seulement l'histoire apocalyptique d'une humanité en perte d'âme ( et de planète à habiter), mais aussi l'Histoire totalement inhumaine, elle, d'une autre espèce, qui évolue à marche forcée vers la sentience et la grandeur. La conflagration qui se profile à l'horizon entre les deux espèces est amenée avec brio, dans un long suspens évolutionniste, et même si le "pay-off" est un poil léger, on sort plutôt content de ce roman a-typique.
Le portrait que Tchaïkovski fait de l'humanité est peu élogieux. Car si l'avenir semble être le lieu d'une compétence technique impressionnante (voyage infra-luminique certes mais maîtrise de la stase qui compense, terraformation et manipulation des IA, etc... ) la moralité de nos descendants est pourtant clairement aussi bancale que la nôtre aujourd'hui. "Children of men" (le titre anglais est plus pertinent) nous montre tout d'abord un monde qui s'effondre dans une guerre brutale entre scientistes agressifs et des "révolutionnaires écolos" tout aussi dangereux.
Puis, des siècles passant en un surprenant raccourci, c'est à leurs descendants que nous avons affaire, et là il faut dire que le roman déconcerte. Car ces hommes qui débarquent après des siècles de voyage sont des victimes de la folie technologique de leurs ancêtres, et pourraient en prendre de la graine , mais n'arrivent qu'à re-mettre le feu aux poudres dans leur propre barque, en proie à des intrigues dignes d'une mauvaise télé-réalité et pleines de sales coups...
Non, c'est plutôt sur la partie "Autre" que le roman brille je crois, car il est étonnant de lire le déroulé d'une évolution animale (certes boostée par erreur par un nano-virus!) en route vers l'auto-réflexion et même la science. Tchaikovsky a d'ailleurs le culot de nous faire vivre cette saga immense à travers des personnages qui portent tous le même nom au fil des siècles, tel une improbable saga familiale, mais ce choix bizarre simplifie en fait les choses à la lecture. Et faire découvrir la radio à des créatures sourdes... Ambitieux tout cela, très ambitieux. Mais bon, ça marche pas mal cette affaire.
Ce roman est sans doute victime d'une certaine dispersion, il faut bien le dire... L’interaction de deux espèces liées par leur Histoire avec un grand H est en soi un chouette sujet. En ajoutant toute une discussion autour d'un messie électronique bicéphale et fou à lier, le fil de la narration se complique un peu trop. La problématique de la lutte du sexe "faible" pour son égalité est bien vue dans le contexte cannibale de ce monde, mais c'est c'est un peu trop d'anthropologie pour cette sci-fi dure. On peut sans doute imiter Arthur C. Clarke, mais n’est pas Ursula Le Guin qui veut... Bref j'ai des réserves sur le trop-plein de propositions. Un deuxième tome aurait peut-être évité cet écueil.Le final est honnête, sans plus ..
Mais en tout état de cause, ce roman est un saut dans l'inconnu et son intrigue trop touffue est joyeusement inédite. Je recommande doucement , pour son originalité et sa lecture détendue, guys et guyzettes!
PS : on vient de trouver de l'eau sur une exo-planète, ca commence à devenir intéressant cette affaire... :-)