C'est curieux cette qualité intrinsèque de la Russie a générer autant d'effroi que de fascination. Perso, je me situe nettement dans le premier groupe. Même pas besoin de penser aux chars qui défilent sur la Place Rouge ou à la moustache de Staline, rien que les inoffensives matriochkas, ces poupées girondes aux couleurs vives qui s'emboîtent les unes dans les autres parviennent déjà à me faire vaguement flipper...
Et pourtant, je suis bien obligée d'admettre que les rayons de ma bibliothèque ne sont pas dépourvus en ouvrages ayant la Russie pour théâtre. Emmanuel Carrère y figure évidemment en bonne place avec Un Roman Russe et Liminov, suivi de près par Sylvain Tesson et son merveilleux Dans les Forêts de Sibérie, mais aussi l'excellent thriller Child 44 et maintenant le récit de Yoann Barbereau, "tirés de faits réels" comme le veut la formule consacrée.
Ce qu'a vécu Yoann Barbereau, est tellement rocambolesque, tellement incroyable au sens premier du terme que le mérite de la qualité palpitante de son récit ne lui revient pas entièrement. Il n'a eu pour ainsi dire qu'à se baisser pour ramasser la matière. Mais encore fallait-il la transformer, ce qu'il a fait avec un talent qui m'a bluffée. Il a réussi à faire émerger de ce sombre magma d'épreuves, une vraie création littéraire. Il y est parvenu car c'est un homme de lettres mais aussi et surtout car il a trouvé la bonne distance. Il a choisi de laisser flotter un voile de pudeur, de ne pas nous entraîner de par le fond, pour nous permettre de mieux apprécier sa virtuosité, qui s'incarne magnifiquement, je trouve, dans cet extrait du début, avant que la mécanique implacable de l'engrenage ne se mette en branle et ne le happe:
"En Sibérie, quand l'humidité est suffisante, quand les température sont très basses, on peut voir apparaître dans l'air comme une poudre de diamant. La vapeur d'eau qui nous entoure, invisible d'ordinaire, se transforme en une infinité de cristaux de glace. Le monde scintille, Quelque chose s'ouvre et veut nous ceindre."
Si ce récit n'a rien fait pour apaisé mon effroi pour "toute chose russe", je rends grâce au talent des "fascinés" qui parviennent, comme Barbereau, à tirer parti de la puissance romanesque qui traverse et singularise cette partie du monde.
Bonne lecture.
Amitiés,
Dustinette