Commençons par le futile : Le livre est beau. Le format d’Actes Sud est plaisant, les couleurs de la couverture engageantes.
La lecture commence. Premier bonheur avec Danse noire, je suis happé dès les premiers mots. Un style vivant, qui enveloppe et fait oublier le monde extérieur.
Un style cinématographique aussi, puisque le narrateur, réalisateur de son état, imagine le film basé sur et s’adressant à son (très bon) ami comateux, Milo. Et franchement, un style comme celui-là pour un cinéphile, c’est tout simplement l’idéal.
Ça peut paraître froid, trop descriptif (bref un scénario quoi) mais ce style scénaristique guide les images qui viennent en tête durant la lecture. Et comme je suis quelqu’un d’obéissant, lorsque Nancy Huston écrit "Gros plan sur le caniveau", je vois un caniveau un gros plan. Avec en prime la pensée, "Hmmm, bien vu le gros plan !"
Ce style oral, familier que j’ai mentionné cohabite harmonieusement, d’autant que le narrateur/réalisateur agrémente le récit de remarques, suggestions et récriminations à Milo. Excellent lien entre passé et présent, et l’occasion également de founir une distanciation constante et bien pensée.
C’est là tout l’attrait de ce style ; d’un côté on est immergé jusqu’à la racine des cheveux (pas plus haut, faut pas exagérer)-tellement-que-c’est-bien-écrit et de l’autre on est constamment rappelé à la "réalité", avec tact et humour.
Autre élément incontournable de Danse noire ; les dialogues sont en anglais. Ça peut gêner comme ça peut amplifier l’immersion. Un coup d’œil sur les traductions en note de bas de page de temps à autre, mais les dialogues restent globalement compréhensibles. Bref, ça aussi, j’adore. (oui la critique manque totalement de nuances, mais m’en fiche, j’avais pas ressenti cette joie à la lecture depuis… disons Cent ans de Herbjørg Wassmo, pour prendre un équivalent de genre). J’adore d’autant plus que ce n’est pas de l’anglais à la "Brian is in the kitchen with the umbrella", non, c’est de l’anglais parlé, réel. Et quand ce n’est pas l’anglais, c’est le québécois. C’est écrit comme c’est parlé, c’est vivant.
Honnêtement, je me suis questionné, au début sur l’utilité de cette non-traduction. Et puis avec le voyage entre Irlande et Canada, l’apprentissage du français pour Neil, bref le mélange des cultures, l’évidence apparaît. Une Danse noire bilingue qui oscille entre deux cultures, deux langues, c’est comme regarder, disons… Alabama Monroe en VO, c’est normal. Quitte à être dans l’emphase, je dirais que tous ces passages en VO ne sont pas seulement normaux, ils sont rendus nécessaires par le contexte.
Passons à l’histoire. Passé la super idée du film imaginé, du discours au malade, ce sont trois histoires qui se mélangent, trois générations, une famille, de l’Irlande au Canada, du début à la fin du XXe. Bref, du voyage géographique et culturel, du récit riche, de la grande fresque familiale comme je les aime. L’idée n’est pas nouvelle, mais lorsqu’on écrit comme Nancy Huston, who cares ?
Et pour finir sur une note totalement égocentrique, un livre (aussi bien écrit, aussi bien pensé, mais sur ce point je pense avoir été assez clair, non ?) qui parle de cinéma, d’Irlande et de Canada. Qui me dira que Nancy Huston n’a pas pensé à moi ?
Bref, merci aux Matchs de la rentrée Littéraire de Price Minister pour ce coup de coeur de la rentrée 2013. Et comme l’opération nécessite de donner une note, ce sera pour moi un 19/20 à Danse noire. (Le -1 point c’est parce qu’il m’a quand même fallu aller dans les notes de bas de page. Et que le livre est trop court).