Loin de moi l'idée de remettre en cause la sincérité (faute de légitimité) de l'entreprise ardue dans laquelle s'est lancé D.T. Max, seulement, la parution en 2012 de la première biographie consacrée à DFW me pose tout un tas de questions à l'heure glaçante du post-décès de l'auteur pendant laquelle se multiplient naturellement, tels les pains, une chiée de bouquins plus ou moins recevables et rééditions savamment markétées.
Alors que les écrits universitaires s'intéressaient sérieusement à sa production, que les attentes augmentaient exponentiellement quant à son prochain grand roman (Le Roi Pâle, inachevé), David Foster Wallace se donnait la mort en septembre 2008, après avoir connu une vie médiatique, intérieure et personnelle des plus complexes. Le travail du présent ouvrage, son auteur n'ayant pas connu personnellement Wallace (et ce n'est pas là une sorte de reproche car bien d'excellentes biographies ont vu le jour sans cette spécificité, qui peut donner plus de cachet, de légitimité à l'ensemble ou bien à l'inverse biaiser complètement le résultat), le travail produit en amont dis-je, je le reconnais, a été colossal et l'auteur ne s'épanche pas sans raison de cinq pages de remerciements en fin d'ouvrage sur les proches et correspondants de Wallace qui ont apporté leur pierre à l'édifice (ce qui lui donne une certaine reconnaissance en la matière également, on peut le noter). Cependant, à la lecture de ce livre, je n'ai pas pu m'empêcher de me questionner :


– Est-ce qu'une biographie était absolument nécessaire à Wallace et éclaire d'une nouvelle manière son œuvre ?
– Plus généralement, quels aspects de l'auteur se doit de traiter le biographe ?
– Comment les présente-t-il et comment fait-il intervenir ses sources ?


A la première question, ayant lu avidement l'œuvre traduite de Wallace (excepté son ouvrage théorique de vulgarisation sur les mathématiques, l'infini et son concept philosophique logique Tout et plus encore, une brève histoire de l'Infini), la lecture récente d'une nouvelle intitulée Ce cher vieux néon, présente dans le recueil L'Oubli, a légèrement modifié ma perception et compréhension de Wallace et mis en avant un de ses traits qui me paraissait mineur ou négligeable dans sa personnalité d'homme :


« Selon le paradoxe de l'imposteur, plus on met de temps et d'efforts à essayer de paraître impressionnant ou séduisant aux yeux des autres, moins on se sent impressionnant ou séduisant au fond de soi – on est un imposteur. Et plus on se sent imposteur, plus on essaie de projeter une image impressionnante et agréable pour éviter que les autres ne découvrent qu'on est en réalité une personne creuse, un imposteur. »
p180, Ce cher vieux néon in L'Oubli



En suivant chronologiquement l'établissement de cet homme dans sa vie du Midwest étasunien, D.T. Max s'attarde bien sûr malencontreusement sur des détails insignifiants et futiles (parce qu'ils sont des souvenirs, anecdotes, citations qui étoffent la connaissance théorique qu'il peut avoir de son « personnage », et ce tout au long de la biographie), mais par fragment, arrive à dépeindre assez finement des aspects psychologiques de ce qui (me) semble avoir été le véritable DFW : un jeune auteur prodigieusement intelligent, avide de prouver sa véritable valeur et l'étendue de ses talents et connaissances, mais à la fois très tourmenté par le succès qui vient le célébrer dès son premier roman alors qu'il n'a que 23 ans, et souffrant surtout d'une crise existentielle profonde. Plus les années passent et plus Wallace est convaincu qu'il serait un homme pour qui ce savoir n'est qu'une façade creuse derrière laquelle il cacherait son vide intérieur, sa pauvreté, son incroyance pour autre chose que des règles empiriques et logiques, c'est un homme angoissé, extra-lucide, qui cherche désespérément à croire, si ce n'est en lui-même et sa véritable valeur, en une existence en accord avec soi-même, loin de cette quête folle de certitude.   
A ce titre, le « diagnostic » de Max semble assez recevable et appuyé par les témoignages de ses proches lors des différentes crises que Wallace a traversées. Bien que l'œuvre de DFW abonde d'exemples de ce mal-être, de cette compréhension extrêmement sensible du caractère dépressif, la biographie permet en certains points de mettre en relation ces épisodes douloureux de doute avec ce qu'ils ont permis de produire chez l'auteur disparu.
Si la biographie se perd parfois comme je le disais dans des souvenirs futiles pendant quelques paragraphes, je me dois également de remarquer que le nombre de notes (peut-être un emprunt stylistique à DFW d'ailleurs, lui-même en ayant usé et abusé dans ses écrits) justifie rarement leur qualité. Parfois glissées inopinément, elles sont souvent sans rapport direct avec le contenu présent de la lecture et ne font que rapporter un commentaire d'une des sources, de sorte que l'ensemble donne l'impression d'avoir subi un mauvais écrémage. Ces sources avec lesquelles il correspondait beaucoup (sa sœur Amy, ses amis, collègues, auteurs contemporains Franzen ou DeLillo par exemple), j'aurais aimé, à l'instar des profondes réflexions que se posent DFW sur ce que doit être la littérature de nos jours, à ce qu'elles ne soient pas sans cesse présentées comme « au bon de souvenir de » donnant ainsi un aspect très artificiel, amateur et répétitif à la narration omnisciente d'une vie, celle d'un journaliste renseigné mais incapable de se départir de son style.
C'est pourtant lorsqu'il rend compte des derniers événements et plus spécialement qu'il évoque l'œuvre de Wallace que D.T. Max semble le plus à l'aise. Mettant à concours des spécialistes de son œuvre et sa propre lecture, il évoque en quelques paragraphes synthétiques et analytiques très justes chaque ouvrage paru de Wallace et notamment ses écrits qui nous dévoilent ses aspects les plus profonds et cachés.


« Sous le nouveau gouvernement du fun, écrire de la fiction devient une façon de s'aventurer profondément en soi-même et de mettre au jour tous les trucs qu'on voudrait justement cacher à soi-même comme aux autres, et ces trucs se révèlent (paradoxalement) être précisément ce que tous les écrivains, tous les lecteurs, partagent, ce qui les fait réagir, vibrer. La fiction devient une étrange manière de s'affirmer et de dire la vérité, au lieu d'un moyen de s'échapper à soi-même ou de se présenter sous un jour où on se croit d'une amabilité maximale. »
p232, extrait d'un article de DFW pour Conjunctions en 1993



Derrière cette biographie nécessairement imparfaite pourtant, l'amoureux que je suis de Wallace a pourtant su voir esquissé, un portrait qui, s'il manque de l'authenticité dont pourrait se faire valoir un de ceux de Franzen ou Mark Costello (deux auteurs très proches de lui), trouve assez de recul et d'objectivité (bien que Max ne cache pas son admiration pour lui – et comment faire autrement quand on entreprend une biographie d'un tel personnage) pour peindre un homme presque sensible, tangible, dans ses dernières pages. Plus que dans l'ouvrage du journaliste David Lipsky consacré à ses entretiens pendant lesquels il a suivi Wallace durant plusieurs jours (Même si, en fin de compte, on devient évidemment soi-même, 2010, dont beaucoup d'anecdotes sont réutilisées ici), D.T. Max nous livre un Wallace poignant et torturé comme je ne doute pas un seul instant qu'il a été.
En bout de course, je vous dirais que c'est un ouvrage que je ne recommande qu'uniquement aux amoureux voyeurs et insatiables de DFW, qui malgré ses faiblesses de style et d'élaboration, fait preuve d'une solide documentation ainsi que d'une justesse non négligeable. Je vous laisse sur cet extrait d'une lettre de David à un autre David (Markson, auteur qu'il admirait passionnément notamment pour son roman La maîtresse de Wittgenstein - philosophe et linguiste qui était leur passion commune), c'était en 1996 après la parution et le succès de L'Infinie Comédie :


« J'essaie de me souvenir que je suis bien chanceux de pouvoir écrire, et deux, trois fois plus chanceux encore qu'on veuille bien me lire, sans même parler de me publier. Je n'ai rien d'un optimiste béat – garder le moral, toutes ces conneries, c'est du boulot, et souvent je n'y arrive pas si bien que ça moi-même... Mais je m'y efforce. La vie est belle. »
p297



Et menant cet éternel combat, le nouveau shérif arrivé à Fiction City s'en était pourtant allé.

Albion
7
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le 15 nov. 2017

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Albion

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