Ce qu'on attend beaucoup d'un roman, c'est de s'attacher à des personnages bien rendus, peut-être pas des héros mais des gens, des vrais, qui pensent et ressentent. Russell Banks remplit tout à fait ce critère avec De beaux lendemains.
Des gens tellement vrais qu'ils en deviennent étranges, comme dans la vie où on ne comprend pas toujours les réactions ou les propos de personnes qu'on croise sans les connaître.
Sentiment d'étrangeté lié à notre méconnaissance de leur histoire, de leur passé, de ce qui les a construit.
L'extrême réalisme du roman qui laisse la parole ici aux protagonistes d'un accident de bus scolaire qui coûta la vie à des enfants confine ainsi au roman policier. Qui est responsable de l'accident? Peut-il n'y avoir aucun responsable? Les témoins disent-ils toute la vérité? Si certains mentent, quelles sont leurs motivations? Que se cache t'il derrière la petite vie bien lisse d'une petite ville du Nord de l'état de New York paralysée par le froid et la douleur, à la fois si arriérée et si partie prenante d'une grande civilisation? Quelles sont les motivations de ceux qui défendent parfois l'indéfendable? Comment peut-on survivre à la perte d'un enfant? Les victimes peuvent-elles aussi parfois être des bourreaux?
En quelques 300 pages, l'auteur nous plonge dans la vie sans nous donner forcément des réponses à ces questions, les poser suffit. Parce qu'il n'y a pas de réponse à la mort des innocents, parce qu'il n'y a peut-être même aucune fatalité, rien.
Chaque voix singulière raconte sa réalité – le roman est composé des cinq récits à la première personne des protagonistes de l'accident et d'un avocat; parfois on a l'impression qu'ils se mentent à eux-mêmes, en tous cas, on pourrait le penser, rien n'est certain, comme dans la vie, la vie d'une Amérique désenchantée, d'une civilisation qui essaie de survivre à l'effondrement.
C'est la première fois que je lisais cet auteur, et certainement pas la dernière.