Il est des livres que l'on trouve intéressants, d'autres vides. Certains résistent aux ravages du temps, d'autres non. Certains sont écrits de manière fluides, d'autres paraissent abscons.
De la Démocratie en Amérique réunit pour spn premier volume, beaucoup des qualités que l'on peut attendre d'un essai. Servi par une plume admirable, le propos de Tocqueville, qui fait le pari de s'intéresser aux moeurs démocratiques de l'encore très jeune republique américaine interpelle d'abord par son caractère visionnaire: prédisant que les 20 Etats des États-unis en deviendraient quarante; qu'il y aurait un jour au moins 150 millions d'habitants sur place; que l'institution de l'esclavage sur place y était vouée à la disparition ; que les noirs n'en auraient pas moins d'immenses difficultés à être admis comme égaux des blancs; que Libéria était une chimère ; que les américains deviendraient maîtres des océans ; que l'instabilité des lois secondaires n'empêcherait pas la durabilité de la constitution ; que les indiens finiraient mécaniquement chassés et dépossédés ; que Russie et États-unis étaient les puissances qui se partageraient le monde, la première s'appuyant sur la force armée, les seconds sur le commerce; etc.
Peu d'ouvrages peuvent se vanter d'avoir su cerner, avec tant d'exactitude plusieurs traits caractéristiques si longtemps à l'avance que la Démocratie en Amérique. Réfutant les déterminismes géographiques, sans remettre en cause l'influence de la géographie, dépassant les préjugés de régime de son temps, s'intéressant aux lois et aux moeurs, Tocqueville analyse en observateur distancié, mais engagé, ces États-unis émergents et la société démocratique.
Il en isole des traits qui nous semblent aujourd'hui devenus des plates évidences : la judiciarisation de la vie politique, la passion pour l'égalité, le risque de tyrannie de la majorité, l'ambiguïté des juristes (légistes) interprètes du droit plus légalistes que convaincus des droits naturels de l'homme ou encore un vibrant plaidoyer pour les communes, la subsidiarité et la décentralisation.
Tout cela Tocqueville y est arrivé en 1835. Alors oui, certains passages reflètent une conception datée de la société- impasse sur les femmes, descriptions des "races" et autres éléments obsolètes y figurent aussi. Mais ils n'enlèvent rien à la portée d'une oeuvre qui reste un incontournable.