Cette formule, j'y pense souvent. Est-ce qu'on est condamnés à être égaux ? Il y a de quoi s'interroger, et Tocqueville, assailli de questions en cette période de crise politique en France, a tâché d'y répondre.
Son exposé est plutôt clair, bien que scolaire, mais bon, ce n'est pas un souci, je ne recherchais pas de plaisir littéraire en lisant l'histoire des Etats-Unis. C'est vrai qu'ils sont tous migrants, ces bougres là, donc quand ils sont arrivés pour chasser les Natifs, ils étaient tous sur un pied d'égalité à ce niveau !
Mais le plus frappant dans cette idée de Providence, ce sont les changements opérés au sein des classes d'humains. Le noble s'appauvrit en finançant des guerres privées pendant que le roturier s'enrichit via le commerce. Est-ce une intervention divine pour mener à l'égalité ? Tous les efforts pour instaurer une monarchie absolue seraient donc vains ? Il y a matière à réfléchir.
Sans les barrières sociales dressées par une société inégalitaire, l'homme est totalement libre de s'enrichir au même titre que n'importe quel autre, car tout le monde part d'un même pied d'égalité : c'est l'égalité des conditions. Cela peut sonner merveilleux dans les oreilles des adorateurs du rêve américain, mais Tocqueville a la lucidité de souligner que sans repères, certains hommes sont perdus et vont même jusqu'au suicide. L'attirance pour toujours plus de confort matériel superflu commence aussi à germer dans les esprits des gens qui profitent de cette absence de limites pour exploiter leur avidité et leur gourmandise. C'est la démocratie qui permet ça. J'aime quand les faits sont pondérés, il ne s'agit pas là d'une éloge de la sacro-sainte démocratie.
Centré sur lui-même, l'homme se désintéresse de tout lien social (bon, ça j'approuve), et rejette toute autorité politique. Comme disait Balzac, le roi est la clé de la voûte sociale, le peuple ne peut pas gouverner, surtout par le biais d'élections, immense poudre jetée aux yeux. D'ailleurs, le peuple, on le voit de nos jours, il s'intéresse bien plus aux ragots et à la démonstration de vertu d'un candidat qu'à ses capacités politique et son intelligence sociale et économique. Toute source de pouvoir est biaisée. Chateaubriand l'explique aussi largement dans sa quatrième partie de ses mémoires.
Le problème avec la souveraineté du peuple, c'est d'ailleurs ce système d'élection. Le peuple élit une personne qui agira nécessairement sous ses impulsions personnelles, oubliant tôt ou tard ses promesses, car elles sont impossibles à tenir. Ces mêmes personnes s'entoureront de personnes du même bord, et une fois un groupe conséquent créé, une majorité détiendra le pouvoir, pouvant faire ce qu'elle veut en invoquant l'égalité et la liberté qui les a laissés accéder au pouvoir. C'est la tyrannie de la majorité, encore un concept brillant.
L'opinion, voilà ce qui domine le comportement des masses, et ça, Tocqueville l'avait compris, et il le prouve lorsqu'il expose sa théorie de la tyrannie de l'opinion.
Bref, le livre est long, mais très intéressant car lucide, limpide et clairvoyant. Immortel, même, car, visionnaire, Tocqueville annonce l'avenir du monde occidental. Comme pour l'Ancien Régime et la Révolution, il dissèque les relations humaines avec la politique pour que l'on puisse les comprendre, et surtout, montre que la démocratie n'est pas le système parfait, l'aboutissement du bien absolu représenté par la liberté et l'égalité.