Grand chef-d'œuvre de Truman Capote, on a beaucoup dit sur ce classique, alors je vais tenter de dire ce que j'ai ressenti à sa lecture.
D'abord beaucoup de tension et d'impatience, car même si on connait dès le départ les protagonistes et l'inévitable collision de deux mondes qui n'auraient pas dû se rencontrer, Capote gère la narration sur le fil, en paragraphes alternant les points de vue et les personnages principaux et secondaires, tout en faisant avancer la chronologie.
Ensuite de l'incompréhension et une avidité à comprendre, à trouver la moindre parcelle d'indices qui justifierait ou expliquerait des crimes aussi sordides et vides de sens. Une fois encore, Capote gère d'une main de maître les dialogues, non expurgés de tout le phrasé et les digressions qui en font la truculence (véracité du récit, toujours) et les flashbacks qui nous laissent appréhender "l'éthos" des protagonistes (manières d'être, habitudes, personnalités, glitchs dans le comportement...). Par petites touches qui semblent au début anecdotiques, les deux coupables ne sont plus deux voyous bons pour la corde, mais des personnalités distinctes, complexes, avec leurs histoires, leurs aspirations, leurs mesquineries et aussi leur humanité, parfois. L'entreprise psychologique du roman est superbement menée, Perry et Dick deviennent peu à peu des familiers... ce qui n'empêche pas une profonde empathie pour des victimes aimées et admirées dans leur communauté.
Puis sans crier garde, de la pitié pour tous ces personnages qui chacun, de leur point de vue, pensent faire au mieux : le shérif qui ne dort pas des mois entiers à travailler sur l'enquête, la femme du gardien de pénitencier qui nourrit Perry de ses plats préférés en attendant le procès, Perry, son écureuil et son rapport à son père et à sa sœur, Dick qui fanfaronne mais veut épargner sa mère de la déception, ou même un tueur en série dans le couloir de la mort, qui tient autant à sa vie qu'à celle de ses victimes...
Capote réalise un reportage de 500 pages rigoureusement véridique, qui utilise les techniques de la fiction à la fin la plus noble qui soit : dire le réel, sans y ajouter de trémolos ou de fioritures. L'histoire est sordide mais pas plus que des dizaines ayant lieu aux Etats-Unis dans les années 60. Le sujet reste accidentel, il importe peu car le travail est surtout littéraire : donner à voir toutes les dimensions d'une tragédie dans une petite ville campagnarde du Kansas, chez les proches des protagonistes et pour les protagonistes vivants eux-mêmes. Sans mensonge, sans habillage adroit pour divertir le lecteur. Un projet littéraire loin du polar.
Si l'écriture de Truman Capote m'a semblé assez neutre (journalisme oblige ?) et peu maniérée, j'ai été impressionnée par sa maîtrise de la narration : un paragraphe notamment commence en suivant la routine de chats du quartier, qui ont l'habitude de renifler les voitures nouvellement garées, à la recherche de restes d'oiseaux qui se seraient pris dans les essieux. Cette plume cinématographique qui suit les chats arrive jusqu'au pénitencier, où Perry observe chaque jour le manège des chats. Ce genre de narration visuelle m'a plongé à chaque paragraphe dans une intrigue en soit pas aussi haletante qu'on pourrait s'y attendre, mais à minima tout aussi passionnante.