Fuyuko Irié est une jeune femme qui vit en solitaire, en gros parce que tout lui fait peur. Elle travaille comme correctrice, d’abord pour une maison d’édition, puis en free-lance. Elle sort très peu et ne semble pas s’intéresser à grand-chose. Mais elle ne peut pas rester éternellement repliée dans son coin. Récit de ses timides tentatives de socialisation.


Fuyuko sait regarder les choses en face. Elle est capable, dans sa tête, de se présenter en quelques phrases. Voilà ce qu’elle pense quand Hijiri lui demande de parler un peu d’elle « Je m’appelle Fuyuko Irié, je travaille comme correctrice free-lance, j’ai trente-quatre ans ; trente-cinq cet hiver, en décembre. Je vis seule. J’habite le même appartement depuis que je suis à Tokyo. Je suis née à Nagano, à la campagne. Dans la vallée. Une seule fois par an, la nuit de mon anniversaire, je sors me promener, c’est mon seul plaisir. Mais j’imagine mal que ce petit plaisir puisse intéresser qui que ce soit. D’ailleurs, je n’en ai jamais parlé à personne. Pour commencer, je n’ai pas d’amie à qui je pourrais en parler. »


À la rencontre des autres


Hijiri pourrait éventuellement devenir cette amie, cette confidente, car elle est régulièrement en relation avec Fuyuko pour le travail. C’est elle qui a suggéré à Fuyuko de quitter son emploi chez un éditeur où elle supportait mal l’ambiance, pour passer free-lance avec l’assurance d’obtenir suffisamment de commandes de l’éditeur qui emploie Hijiri. Malheureusement, celle-ci se révèle très futile et avant tout bavarde, affichant son opinion de façon brouillonne (beaucoup de vent pour une parole censée, à l’image de cette intervention : « Attendre quoi que ce soit d’un mec aujourd’hui, déjà… Mais même les filles, et qui bossent, tu grattes un peu et elles sont toutes formatées sur le même modèle. » avant tout destinée à faire réagir). D’autres relations plus ou moins dans le même style incitent Fuyuko à modifier ses habitudes pour combler son besoin de vie sociale. Elle envisage de participer à un club ou un cours, peu importe sur quel thème du moment qu’il l’inspirerait. Très hésitante, elle provoque un malentendu et le hasard lui permet de faire la connaissance de M. Mitsutsuka, un homme qui affiche la cinquantaine et semble plutôt solitaire également.


Fuyuko et la littérature


Mais la conversation est difficile, surtout quand on n’a pas l’habitude et qu’on a peur de se dévoiler, peur du ridicule. Alors, puisque c’est le seul sujet pour lequel ils sont sûrs de pouvoir dire quelque chose, ils en viennent à parler de travail. C’est ainsi que Fuyuko explique qu’en fait elle ne lit que très peu, car elle ne peut pas s’empêcher d’aborder un texte en professionnelle. Elle se focalise sur les éventuelles erreurs et en trouve régulièrement. C’est bien simple, elle en est arrivée à la conclusion qu’il n’existe pas de livre sans faute. Si elle reprend un livre publié pour lequel elle a fait (consciencieusement) le travail de correction, elle sait par expérience qu’elle trouvera quelque chose qui ne va pas. À vous dégoûter de la littérature !


Le cas de M. Mitsutsuka


Fuyuko apprend en retour que M. Mitsutsuka exerce comme professeur de sciences physiques dans un lycée. Il aborde avec elle quelques notions qui peuvent lui parler, par exemple ce qui explique la couleur bleue du ciel. Les couleurs, le sujet les intéresse tous les deux et permet à M. Mitsutsuka d’aborder des notions plus profondes. Mais Fuyuko n’est visiblement pas une intellectuelle. Par contre, c’est une hyper-sensible dont l’isolement s’explique par toutes ses appréhensions et notamment par le fait qu’elle a tendance à perdre ses moyens lorsqu’il s’agit d’entretenir une conversation. Les circonstances font que le dialogue se poursuit – péniblement – avec M. Mitsutsuka qui fait preuve de beaucoup de patience, de douceur et de sensibilité. À tel point qu’on peut se demander si la vraie raison pour laquelle il apprécie de retrouver Fuyuko régulièrement n’échapperait pas à la jeune femme. On devine qu’entre Fuyuko et M. Mitsutsuka, un rien peut aussi bien les attirer irrésistiblement l’un vers l’autre (l’autre représentant une sorte de bouée de sauvetage), que les éloigner définitivement. La seule expérience charnelle de Fuyuko lui laisse un souvenir gêné. Sera-t-elle capable de surmonter cette gêne ? M. Mitsutsuka est-il l’homme de la situation ?


Exprimer un ressenti (manifestations de la sensibilité féminine)


Mieko Kawakami s’intéresse à la façon dont ses protagonistes s’expriment. La grande difficulté de Fuyuko consiste à trouver les mots justes dans ses conversations, elle qui les traque dans les livres qu’elle parcourt d’un œil critique, prête à débusquer le moindre détail qui ne colle pas. Le roman peine un peu à décoller avec les conversations inintéressantes au possible de Hijiri. Mais cela nous montre la personnalité de Fuyuko qui, par son attitude très passive, parvient régulièrement à n’afficher absolument aucune opinion personnelle. Le roman gagne en intérêt au fil des chapitres, même si tout ce qui arrive à Fuyuko relève régulièrement des petits riens. Le style de Mieko Kawakami parvient à exprimer toute la sensibilité de Fuyuko et donne un charme réel à ce roman que je conseillerais de lire dans le calme de la nuit. Une suggestion qui ne doit rien au titre que je n’aime pas spécialement, car il laisse entendre un aspect sinon érotique, au moins sensuel, alors que Subete mayonaka no koibitotacho (titre original) ne comprend aucune situation qui le justifierait, du moins au sens où on l’entendrait avec un tel titre. Et même si toute littérature relève de l’artifice, l’astuce du final pour justifier ce titre ne m’a pas convaincu, surtout d’après ce que ce final sous-entend concernant Fuyuko.


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le 3 sept. 2020

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