EDIT: Voilà t'y pas que j'écris une critique pas sympa sur un Disque-Monde et que Mr Pratchett se venge. Reviens, Terry, c'était pour déconner. Un dernier ok? Juste un dernier...
La vieillesse est un naufrage. "Déraillé" n'est pas un très bon Disque-Monde.
Je ne suis pas exceptionnellement fan des autres aventures de Mr Von Lipiwg (Lipouig? Lipvich?), un personnage bien plus lisse et moins inspiré que tant d'autres. Il ne lui arrive pas grand chose d'intéressant, et lui même ne l'est pas beaucoup. Il a quand même le mérite de nous faire découvrir d'autres personnages bien connus et adorés tel que Vimaire sous un jour extérieur, une expérience à la fois réjouissante et curieusement angoissante.
Mais "Déraillé" n'est pas qu'une histoire de Moite Von Lipwig, c'est aussi un bouquin pas très bon. On retrouve ici le dérapage amorcé dans "Coup de Tabac", à savoir une narration complètement foireuse au service d'une histoire un brin foutraque.
On ne sait pas très bien ce qui s'y passe. Alors oui, le thème de l'avènement du rail est très clair, mais le bouquin multiplie très vite les protagonistes, en jette certains, en maltraite d'autres, et se perd dans son déroulement. On tombe assez rapidement dans une suite de scénettes dans on ne voit pas très bien comment elles s'agencent, voire à quoi elles servent. Les dialogues, une des forces de Pratchett, qui nous avait habitué à des joutes ciselées au rythme parfait et jubilatoire, se résument ici à de long monologues pompeux lourdingues. C'est un crève-coeur de se sentir l'envie de sauter une page pour voir quand est-ce que Vétérini compte terminer son sermon sur le rôle du tyran.
Bref, c'est très chiant à lire. Pas de rythme, un final raté, ce n'est même pas très drôle au final.
Mais je ne jette pas ce "Déraillé". Parce qu'un Disque-Monde, c'est toujours bien plus qu'une simple histoire d'aventures et de poilade, ce sont des réflexions juste, des métaphores fines qui font réfléchir. Le Disque-Monde, c'est un miroir du monde réel, et Pratchett adore glisser des bouts de réels dans son monde juché sur 4 éléphants qui sont eux-même dressés sur une tortue dont on ne sait pas bien où elle va.
Ici, c'est un des ses thèmes favoris qu'on voit apparaitre, déjà esquissés dans tous ses bouquins, mais assené ici avec plus de force que jamais: le multiculturalisme et le vivre-ensemble. On savait que les nains et les trolls pouvaient vivre en bonne intelligence, mais voici les gobelins, qui viennent réclamer leur place dans la societé et leur part du gâteau. Ils sont prêts à travailler mais un peu bizarres. Et tout ça ne plait pas à une frange naine conservatrice, qui ne rigole pas plus que ça non plus du progrès "tequenologique" que constitue le train. Déjà que les clacs.... S'ensuivront sabotages, et, oui, assassinats. De fait de "Déraillé" n'est pas très loufoque et prend une dimension toute particulière à la lumière de certains évènements.
Pratchett traite ce thème sans complaisance et avec fermeté, rappelant des choses salutaires qu'on n'entend pas assez souvent: la peur de l'autre ne mène à rien et les intégrismes sont des poisons.
Rien que pour ça, lire le bouquin vaut le coup, car c'est un des plus engagés de l'auteur et il gagne en portée ce qu'il perd en plaisir de lecture.
Mais au final ce 35e disque monde me laisse un certain goût de nostalgie: avec le rail, avec la technologie, le Disque-Monde poursuit sa mue et se rapproche de plus en plus du monde réel, avec ses imperfections et ses considérations bassement terre-à-terre. Et je ne peux pas m'empêcher de regretter le Disque-Monde mystérieux, farfelu qu'on a découvert jeune. Le Disque Monde actuel a perdu de sa magie: on voyage de Ankh Morpork à Genua comme qui rigole, on fait de la diplomatie entre Quirm et Quatrix, Skund est une forêt normale et Lancre une banlieue. Le Disque Monde est connu, découvert et a perdu de sa magie.