Derrière l'épaule par poko
Si je veux être honnête, autant vous le dire tout de suite : je gardais de très anciennes lectures un mauvais souvenir de Sagan, que je méprisais de loin en loin pour son style simpliste, sa façon de surjouer son œuvre, l’unicité de ses livres et l’absence de caractère de ses personnages.
Imaginez donc ma tête quand j’ai découvert que je devrais suivre au prochain semestre un cours intitulé « Françoise Sagan : l’œuvre derrière le mythe » - je suis toujours en train d’essayer de me faire à l’idée...
Toujours est-il que j’ai donc dans ma liste de lectures plusieurs titres de Sagan, et que j’ai commencé au hasard par « Derrière l’épaule », le dernier titre paru avant sa mort, si je ne m’abuse. Sagan profite de son âge grandissant et, dit-elle, d’une demande formulée du lectorat ou de ses éditeurs pour revenir sur son œuvre avec un œil qu’elle annonce critique voire sévère – ce jugement me laisse cependant sceptique.
Que dire, donc, après avoir posé ces bases ? Derrière l’épaule est un livre qui sent la petitesse, le désaveu et d’indéfinis défauts que l’on assemblerait volontiers sous le nom d’orgueil. Sagan, donc, nous cite ici titre après titre, donne son avis sur ce qu’elle y a écrit, reprend l’opinion de la critique d’alors, qu’elle dédaigne si elle ne lui convient pas et raconte avec systématicité une anecdote sur le roman, tout ceci avec une telle régularité que je pouvais prévoir au quart de page près le retour de chaque étape dès la moitié du livre – un record impressionnant pour une lecture d’une petite heure.
Petitesse, désaveu, orgueil, disais-je donc. Commençons par régler ce dernier point d’une citation sur son œuvre la plus connue, BonjourTristesse : « C’est un livre à la fois instinctif et roué, usant de la sensualité et de l’innocence à parts égales, mélange encore détonnant aujourd’hui, comme il le fut hier… »
Ces quelques mots ne sont pas une exception affectueuse, puisque Sagan ne daigne se montrer réellement critique qu'envers un seul de ses romans, et encore rejette-t-elle la faute de cette baisse de niveau sur des éléments extérieurs.
Qu’on soit fier de son œuvre me semble être une chose que dépasse de loin le principe d’en faire une apologie dénuée de tout sens critique sur deux-cent pages – et recevoir de l’argent dessus.
Je dis deux-cents pages, n’exagérons pas. Ce sont des pages "Sagan", une vingtaine de lignes par page, une dizaine de mots par ligne, de ces mots qui se suivent en droite ligne, sans terme plus complexe, sans structure moins ordinaire que les autres. Et ceci, Sagan nous le confirme de la plus extraordinaire des manières. « Voilà huit lustres », dit-elle à un moment, avant de spécifier entre parenthèses : « défense de prendre un dictionnaire. »
La touche d’humour tombe à plat chez quelqu’un qui se targue d’être littéraire, d’enchaîner allusion sur allusion, de nous étouffer sous sa culture. Outre ses favoris, Aragon, Eluard et, suite logique à ces noms, Valéry, elle cite ici et là Baudelaire, Rimbaud, Balzac ou Chateaubriand, le gratin des lycées. Attend-elle de quelqu’un qui les a tous lus qu’il n’ait jamais croisé le mot « lustre » ou ne sache pas en déduire le sens à la lecture ? Ou vise-t-elle un lectorat qu’elle cherche uniquement à impressionner par les noms les plus fameux de la littérature française et un terme, désuet, certes, mais pas plus méconnu que ça ?
Je penche, on l'aura compris, vers cette seconde option, que d’autres indices soulignent encore. Figurez-vous que Mme Sagan a fréquenté du beau monde. Elle a un jour croisé Sartre dans un hôtel de passe et n’a rien dit le soir-même à de Beauvoir qui se plaignait de trop peu le voir – huhu, magnanime secret des dieux – ; mieux ! Barthes a un jour accordé un rire nerveux à une de ses blagues sur un plateau télévisé. Fichtre, diantre ! Tous les téléspectateurs ont vu Barthes saisir les hautes volées de son humour. Si cette preuve d’esprit ne la propulse pas au panthéon, je me demande ce qui le fera…
A quel point faut-il n’avoir rien fait de sa vie pour vraiment n’accorder d’importance qu’à ces détails de toute la genèse de sa propre œuvre ? Je dois avouer qu’aux moments où les gros sabots de sa fierté ne m’agaçaient pas, j’avais l’impression de voir entre les lignes une vieille femme aigrie qui ressasse toutes ses joies de jeunesse pour cacher qu’elles sont devenues des déceptions.
En somme, Sagan se targue d’une autodérision qu’elle n’a pas, drape toute critique d’une louange et m’ennuie de la première à la dernière page.