Je lis rarement des polars, mais le titre de celui-là m'avait accroché, et puis l'avis du libraire m'a convaincu... Que dire ? Dès le premier chapitre j'étais conquis. Une écriture nerveuse, sèche, une sorte de flow. Et puis un sens de l'éllipse rarement lu. Je reconnais toutefois que tout d'un lire d'un coup sur ce mode peut devenir un peu "too much" ; ce style d'écriture se consomme avec modération pour ne pas s'en lasser. Mais nombre de phrases percutent et pourraient à elles seules devenir des citations. Voilà pour le style.
L'intrigue, sans sortir des sentiers battus, est de bonne facture. Présenter l'autoroute comme une sorte de "biotope" est intéressant, système parcouru par des utilisateurs qui ne prennent jamais le temps de prendre garde à tout ce petit monde qui leur est dédié. Avec ses luttes, sa lassitude, son quotidien... et ses dangers. En l'occurence ici, des rapts d'enfants. Un seul parent devine la vérité, et il a fait sien cet univers pour traquer celui qui a enlevé sa fille pour toujours. Son seul moteur, la vengeance. Classique pour un polar me direz-vous ; oui mais... Joseph Incardona nous présente tout ça sous un microscope ; nous obligeant à regarder et fouiller dans la chair, dans l'intimité, et souvent dans le sordide des vies cachées du mouvement perpétuel de la route, qui fonce dans la nuit sans regarder sur les côtés. Un microscope qui laisse à peu de protagonistes le beau rôle, celui de prouver qu'il y a encore de l'humanité chez certain(e)s.
Extrait :
"Il est sorti du centre hospitalier.
Il est parti dans le Sud.
Enfant de la DDASS, il n'avait personne à qui dire adieu.
Signer un bon de sortie.
La solution au Mal dans son crâne, pour ne pas que le Mal sorte : se faire tatouer une fermeture éclair sur le bourrelet de la cicatrice.
Les cheveux avaient repoussés après la tonsure.
Et maintenant il est là. Chapeau en papier sur la tête.
Les clients passent, s'adressent à lui sans le voir.
Lui les compte.
Lui reste.
Contrat à durée indertéminée. Employé modèle. Ponctuel. Propre. Efficace. Peu causeur. Flexible. Pas syndiqué.
Lui les reagrde.
Lui choisit.
Son étiquette indique le prénom ; "Pascal".
En réalité il est quelqu'un d'autre.
Ainsi le Mal peut rester longtemps à l'intérieur.
Jusqu'à ce qu'Il demande à sortir, s'agite, le presse.
Que sa cicatrice se gonfle et le démange. Que les migraines le poussent plus profondément dans le silence avec lequel il cohabite.
Pascal pose alors une même question aux parents qui lui demandent le steck-frites-salade. Ils sont un peu étonnés par la façon étrange qu'il a de parler. Il doit souvent répéter sa question. Ses yeux restent ternes malgré ses efforts pour sourire. Mais le sourire suffit à les rassurer.
Comment s'appelle la petite ?"
Après cette lecture vous ne verrez plus jamais l'autoroute de la même façon...