La traversée des apparences
Franz Hessel pourrait être connu à plus d'un titre, comme traducteur de Proust et de Baudelaire, comme modèle pour le Jules de "Jules et Jim", comme le père de Stéphane Hessel, ou plus simplement comme auteur talentueux, et pourtant plus personne ne se souvient de lui. La postérité est une déesse bien incompréhensible.
Ou bien est-ce là le destin des auteurs qui font le choix dangereux d'être fins ? Fins comme une aiguille, comme une aile de papillon, comme un sourire triste aussi vite disparu qu'apparu, à l'instar de Walser, de Keyserling, ou d'Isherwood. Des auteurs qui ont fait le pari un peu fou d'arpenter les voies fragiles de la nostalgie, cette belle vénération de l'oubli à demi. A tracer du bout de sa plume des volutes qui, malgré leur légèreté, font mal, il n'est peut être pas étonnant d'être à son tour oublié.
"Des erreurs des amoureux", sous ses dehors insouciants, est un livre bien cruel. Sans ostentation, ses héros rieurs égrainent des "histoires tristes qui sont agréables à entendre"... Oui, ces petits croquis pris sur le vif sont agréables, mais n'en restent pas moins tragiques. On badine, on se moque, on hausse les épaules, mais sous cette fausse superficialité se cachent de bien sombres morales. Que ni les personnages ni l'auteur ne prennent le risque de prononcer à haute voix. Certains silences sont tellement plus éloquents.