Les petits pois, c'est méchant!
J'ai beaucoup aimé Courir, mais j'aimais Zatopek. J'ai aussi aimé Des éclairs, sans pourtant connaître Nikola Tesla.
Une nouvelle fois, Jean Echenoz écrit une biographie romancée d'un héros, Gregor, inventeur génial, hélas moins doué pour tirer profit des ses trouvailles.
Gregor est un ténébreux dandy. Il préfère les pigeons aux humains. Echenoz en dresse un portrait précis, insistant, avec force détails, sur son style, son allure ("sa longue silhouette d'éhassier"), son souci quasi maladif des formes et des apparences.
Autant Zatopek paraissait sympathique à force de courage et d'honnêteté, quoique un peu laborieux, autant Gregor semble étranger au monde, distant et détaché, seulement préoccupé d'invention, en avance sur son temps. Comment aimer cet homme?
C'est sans doute grâce à cette faille qui s'agrandit au fil des pages en Gregor que ce héros pas comme les autres nous émeut. Cette béance entre son génie et sa difficulté d'être parmi les homme, symbolisée par son amour croissant pour les oiseaux, surtout les pigeons, est à la fois surprenante et, finalement, attachante.
Comment Echenoz s'y prend-il, avec un livre si court, pour dire tant de choses, et si bien, avec tant de légèreté et d'humour? Pourquoi insiste t-il tant sur la bêtise, la saleté et la laideur du pigeon, avec une telle richesse de vocabulaire, jusqu'à s'en prendre aux petits pois qui l'accompagnent lorsqu'il devient nourriture? Le pigeon serait-il Gregor?
J'ai l'impression que l'auteur aurait aimé que ce ne soit pas le cas.
J'aime le style d'Echenoz, ses phrases construites avec une savante harmonie, sans tomber pour autant dans la préciosité. Il donne toujours de la légèreté au poids des mots. Et nous brosse de tels portraits! C'est un enchanteur.