La troisième guerre mondiale. L'apocalypse nucléaire qui ravagea la Terre. C'est l'oeuvre de Carleton Lufteufel. C'est cet homme qui appuya sur le bouton rouge et qui décima 90% de la population mondiale. C'est cet homme qui changea la face du monde. Et c'est cet homme qui est devenu l'icône des Serviteurs de la Colère et qui est considéré comme un Dieu. Le Dieu de la Colère; Deus Irae. Sa religion, issue du chaos qu'il a engendré, devient jour après jour de plus en plus populaire parmi les survivants mais pour vraiment s'imposer durablement sur le christianisme, il lui faut une représentation. Une représentation de ce Dieu vivant. C'est pourquoi Tibor MacMasters, un peintre "incomplet" adepte des Serviteurs de la Colère, part en pèlerinage pour rencontre Carleton Lufteufel et en faire un portrait pour ancrer définitivement cette religion dans la durée et la réalité.
Ce roman de P.K. Dick écrit en collaboration* avec Roger Zelazny (que je ne connais pas) s'inscrit sans problème dans la bibliographie du papa de Blade Runner ou d'Ubik. On y retrouve des thèmes qui lui sont chers comme la religion, la notion de réalité ou encore la paranoïa ainsi que la schizophrénie. Vous êtes lecteurs assidus du Monsieur ? Vous serez en terrain connu. Quant à l'univers apocalyptique dépeint ici, il est intéressant. Un petit sous exploité selon moi mais malgré tout assez esquissé pour ravir les fans de SF. Des humains qui ont muté après la bombe atomique, des ordinateurs anthropophages ou tout simplement Tibor; un incomplet. Un "inc", un homme-tronc ou "phocomèle". Un homme sans bras ni jambe dont le torse est posé sur une charrette tirée par une vache et qui interagit avec l'environnement à l'aide d'extenseurs en métal. Bref, de la bonne SF bien sympathique.
Le roman traite essentiellement de religion. Un thème qui n'est pas anodin chez le Barbu puisque ce dernier a lui-même été victime d'une crise de confiance envers l'église au point de rejeter toutes les formes de croyance. Dans le roman, cela apparaît chez différents personnages. Notamment chez Pete Sands mais surtout chez Tibor qui doit partir en pèlerinage alors qu'il n'est même pas sûr d'avoir la foi. Il serait même prêt à rejoindre le christianisme. Un petit peu limite pour un homme qui doit fédérer l'Eglise de la Colère avec sa peinture du Deus Irae... En tout cas, cette notion de foi et de croyance chez les personnages servira de fil rouge tout au long du "pilg" (le pèlerinage). Cela donne un peu de liant à un roman qui en manque parfois. Est-ce dû à la collaboration* entre les deux hommes ? Peut-être. En tout cas il y a un manque de rythme certain au début du roman. Le premier tiers étant assez décousu.
Mais une fois le voyage entamé, le rythme se stabilise et épouse sa vitesse de croisière. Surtout qu'en quittant la ville de Charlottesville, on découvre enfin le monde ravagé qui n'était jusque là qu'abordé. Les rencontres s'enchaînent et on se prend à vouloir savoir si oui ou non Tibor finira par rencontrer le Deus Irae. La fin du roman étant 100% Dickienne, autant vous dire que j'ai vraiment aimé. Surtout que les protagonistes principaux vont connaître une véritable évolution. Ils vont être façonnés par leur voyage et ça c'est très appréciable si on a réussi à entrer dans le livre. Ceux qui sont facilement déstabilises par les rythmes hachés et intrigues diffuses pourront être rebutés par la structure même du roman mais les autres devraient passer un très bon moment. Pas le meilleur de leur vie mais certainement une belle échappée dans un monde en ruines.
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Je reviens juste sur la collaboration entre les deux hommes.
Voilà des propos prêtés à Dick que j'ai trouvé sur Wikipédia :
« J'ai commencé ce livre-là en 1964, et j'ai été incapable de le poursuivre, pour la simple raison que je ne connaissais rien au christianisme. J'ai fait appel à Roger Zelazny, qui est bien plus instruit et plus intelligent que moi, et nous y avons plus ou moins travaillé au cours des années suivantes. On l'a laissé mijoter, en quelque sorte, Roger en écrivait un bout, qu'il m'envoyait, et j'en écrivais un autre bout, que je lui renvoyais. Nous n'avions jamais pensé le terminer. Et tout à coup, le jour est venu où Roger en a fait une portion si longue qu'il ne m'est pratiquement resté plus rien à faire, sinon la fin, et je l'ai posté. C'était donc plus ou moins un boulot d'amateur que nous continuions juste pour le plaisir, une occupation. Nous étions déjà de très bons amis et c'était amusant d'écrire comme ça. C'était comme de s'envoyer et de se renvoyer sans cesse la même lettre. »
(Entretien avec Philip K. DICK par Gregg Rickman, Philip K. DICK : in his own words ; publié par extrait dans la revue Fiction n° 7 et 8, Traduction Pierre-Paul Duransti.)
Cela pourrait expliquer les changements de rythme. En tout cas, moi ça ne m'a pas gêné. J'ai apprécié le roman en l'état et en fan de P.K.Dick j'y ai trouvé mon compte.