Nous sommes en droit de nous demander quelle folie peut prendre les hommes lorsqu'ils se mettent en quête de s'améliorer. La volonté de rendre une chose "meilleure" est déjà la porte ouverte à toutes les horreurs, mais si en plus l'agent de l'amélioration et son objet se confondent, là on atteint des sommets.

C'est une louable initiative de la part de Julia de Funès que de réinterroger un phénomène aujourd'hui rentré dans la culture populaire. Depuis quelques années, les ventes d'ouvrages dits de développement personnel connaissent une croissance exponentielle. Développer une critique de la mouvance est salutaire, surtout dans une époque en mal d'orientations et qui est donc prête à faire feu de tout bois pour ne pas errer dans le noir.

Nous pourrions expliquer la popularité de ces ouvrages de bien des manières. Pour sa part, Julia de Funès démarre sa réflexion en avançant la disparition contemporaine de "l'altérité divine", c'est-à-dire de principes supérieurs à respecter, qui unifieraient les populations. La conséquence en serait une montée de l'individualisme, l'homme se recentrant sur lui-même à défaut d'avoir de quoi créer un groupe unifié. Serait valorisée dans notre société l'idéologie de la "vie pleinement vécue", une vie notamment basée sur l'utilisation d'un "potentiel intérieur" caché dans chaque individu et qui n'attend que la volonté de ce dernier pour s'exprimer. S'adjoint également l'idée que le bonheur serait accessible dès que l'individu s'émancipe de tout ce qui pourrait l'empêcher d'exercer cette potentialité naturelle (comme l'éducation, l'état ou l'entreprise).

L'auteure énonce alors le paradoxe inhérent à l'existence même des livres de développement personnel : comment vivre une vie pleinement singulière, lorsque de tels ouvrages s'adressent théoriquement à des milliers de lecteurs différents ?

Plutôt que de prendre appui sur la psychologie, Julia de Funès se concentre sur ses références philosophiques. C'est un choix de réfutation osé et intéressant. Le problème est que les références littéraires vont abonder : Kant, Hume, Nietzsche, Heidegger, la Boétie, Stendhal, Proust… au point que le livre semble plus être un melting pot d'opinions et non un ouvrage tentant de construire une réflexion rigoureuse.

A trop prendre au sérieux le "développement personnel", l'auteur n'interroge pas assez les raisons pour lesquels il est possible à notre époque de se réclamer d'un tel syntagme sans passer pour un con. De là auraient pu partir d'autres pistes de réflexion pertinentes telles l'influence de l'économie politique ou la montée de la psychologie anglo-saxonne. Cette dernière est chaque année toujours plus proche du développement personnel, au point que certaines thérapies semblent virtuellement indissociables de ces livres.

Julia de Funès peine également à mettre de côté sa fougueuse envie de démonter son ennemi déclaré, puisque certains passages peuvent être réducteurs et plutôt insultants sur les cibles faciles que sont les "coachs de vie". Plus encore, les solutions proposées par l'auteur à la maladie du développement personnel sonnent étonnamment proches des discours critiqués. Prenons comme exemple sa proposition de reprendre des théories bergsonniennes pour promulguer "la vision directe de l'esprit par l'esprit", le pouvoir de l'intuition, de l'émotion… de bien belles intentions qui restent à un état théorique, l'auteur ne prenant ni le temps de les définir ou les questionner, ni ne leur fournit d'exemples.

S'il est une base de départ plutôt intéressante pour aborder le sujet, l'ouvrage ne dépasse jamais le stade de l'attaque en règle et n'apportera donc pas grand chose aux convertis.

Mellow-Yellow
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le 20 mai 2022

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