« Tu as beaucoup à perdre à me suivre sur ce terrain-là ! » lance Soral à son interlocuteur à mi-chemin d’un dialogue épistolaire où le ton monte crescendo. Et il est en effet indéniable que, des deux écrivains, c’est Eric Naulleau qui prend le plus de risques en participant à ce débat – l’autre ayant pris ces risques en un autre temps. La dispute, qui devait porter à l’origine sur les raisons du succès du Front national, déborde vite du cadre prescrit pour toucher des sujets aussi divers que le bilan de Chavez, la guerre en Syrie, les affaires DSK et Cahuzac, Beppe Grillo, Stéphane Hessel ou encore le football et l’inspecteur Derrick ! S’ils se trouvent quelques points d’accord – comme leur commune admiration pour Michéa – les deux auteurs sont la plupart du temps en opposition, que ce soit sur la validité de la psychanalyse ou la primauté qu’il convient de donner à l’individuel ou au collectif. L’« indécrottable humaniste » contre le « bonapartiste » (tels qu’ils se qualifient eux-mêmes). Mais quant il s’agit d’étiqueter l’autre, l’affaire n’est plus aussi facile et les parallèles hardis fusent : Soral se compare à Rousseau « le penseur sauvage » et compare Naulleau à Voltaire « l’idéologue mondain », Naulleau se compare à Philinte (dans Le Misanthrope) et compare Soral à Alceste, Soral taxe son vis-à-vis de Jdanov, lequel le traite de Kim Jong-Un…
Si on peut regretter que les deux correspondants ne répondent pas à toutes les questions qu’ils se posent mutuellement (la loi Gayssot veille en embuscade !) et que le foisonnement de l’échange fasse perdre en précision ce qu’il fait gagner en variété, on n’en lit pas moins avec plaisir ce volume à deux voix, les débateurs maniant tous deux avec talent la langue du pamphlet. S’il ne devait y avoir que deux raisons de le lire, elles se trouveraient dans les éclaircissements que donne Soral à ses thèses économiques – l’appel au « retour du pouvoir du producteur et du gestionnaire sur celui du liquidateur et du parasite » – et dans les considérations très pertinentes de Naulleau sur la littérature française contemporaine, mêlant « le tout-à-l’égoût » et « le tout-à-l’égo », et ceux qui la commentent, responsables de l’« inflation délirante du discours critique par rapport à l’importance de l’œuvre considérée ». Un dialogue souvent vigoureux, parfois même franchement agressif, mais enfin un dialogue ! Et on conviendra que la chose est toujours plus intéressante lorsque ceux qui s’y livrent ne sont pas du même avis…