Au départ, j’avais beaucoup de réserves envers ce livre. Ni son auteur, Bolloré, ni son titre racoleur ne m’incitaient à l’aborder, quand bien même le sujet m’intéresse beaucoup. Je crois profondément qu’il n’y aura jamais de preuve de Dieu, et c’est tant mieux. Cependant, il peut exister plus ou moins de raisons de croire en lui ; en plus bien évidemment de la foi qui, elle, n’a pas besoin de preuve tellement l’évidence de son existence s’impose. Le Mystère, celui dont nous sommes nous-même une partie, ne se révèle jamais, c’est sa nature même.
Mais on me l’a offert, je l’ai lu. Je n’en ferai ni un compte rendu ardu ni une critique qui serait sans intérêt sur un livre se présentant déjà lui-même comme un ouvrage de vulgarisation mais je coucherai ici quelques remarques sur des points d’éclairage. Cela se limitera presque entièrement aux 320 premières pages car dans le deuxième partie sont abordées les « preuves » non scientifiques de l’existence d’un Dieu créateur ou les approches philosophiques (abordées superficiellement) , or, je trouve cela bien plus « classique » et relevant de la foi personnelle ; ni les événements qui se sont déroulés à Fatima ni le destin particulier du peuple juif ne me semblent relever de la « preuve » pour quelqu’un se posant des questions sur l’origine du monde ; au mieux, elles ne peuvent constituer que la confirmation d’une croyance préexistante.
Le première partie se veut une honnête vulgarisation des connaissances scientifiques qui tendent à confirmer ou à mener à l’idée de Dieu depuis le 20ème siècle, ou en tout cas, qui sont de moins en moins sous le joug du matérialisme qui affirmait un peu simplement au siècle passé sa certitude d’une absence de Dieu à l’origine de l’Univers. Ce n’est pas si simple, pourtant.
J’ai en particulier été intéressée par le chapitre 6 intitulé « le roman noir du Big Bang ». Il relate la difficile acceptation de cette théorie qui allait à l’encontre du matérialisme scientifique triomphant. Que ce soient du côté du nazisme ou de celui du communisme, la découverte commencée par Lemaître d’un univers ayant une histoire, un début et une fin, sera très difficile à accepter. Persécutions, exécutions, exils, tous ceux qui auront contribué à repenser un Univers qu’on préférait croire éternel et immuable vont payer un lourd tribu. On a même accusé cet immense scientifique qu’est Lemaître de vouloir concilier ses découvertes scientifiques avec sa foi de prêtre catholique, tant les idées reçues sont dominantes (certains accusent même les scientifiques croyants à l’origine des grandes découvertes comme Copernic ou Kepler de se tromper sur leur propre croyance, d’être influencés par leur époque, que sais-je… Tant la fatuité du petit esprit matérialiste bien formaté n’a pas de limite…). Tous les moyens seront bons pour discréditer par exemple Einstein qui, en plus d’être génial, avait le malheur d’être juif. Il voudrait selon ses nombreux détracteurs « berner l’esprit humain en lui faisant croire que le hasard n’existe pas » ; un groupe de 100 scientifiques de seconde zone sont sollicités pour signer un ouvrage contre l’œuvre d’Einstein et ainsi « nettoyer une bonne fois pour toutes la physique des théories d’Einstein, ce soi-disant savant qui n’est qu’un charlatan et un plagiaire » (on constate que les façons de discréditer intellectuellement ceux qui se battent pour la vérité n’ont pas beaucoup changé…). Ces " manipulateurs pervers" Einstein et beaucoup d’autres, seront condamnés à l’exil, Hitler se vantant d’avoir sorti ce « nuisible », porteur de connaissances « infectes » à coups de pied dans les reins après une campagne de presse ignoble car, dit Hitler : « la science juive pervertit les idées sur l’Univers et tente de faire avaler que celui-ci n’existe pas depuis toujours ! »…
De nos jours, le cas Einstein est encore instrumentalisé car il constitue un symbole dans le monde de la science : dorénavant, c’est la science qui conduit avec lui à la croyance et il est difficile pour beaucoup d’ accepter des phrases aussi simples que cette déclaration – parmi de nombreuses autres allant dans ce sens : « Je ne suis pas athée et je ne crois pas que je puisse me dire panthéiste. […] Ce qui me sépare de la plupart de ceux qu’on appelle athées, c’est le sentiment d’une humilité totale devant les secrets inaccessibles de l’harmonie du cosmos. » Lui aussi ne doit pas savoir ce qu’il dit…
Son histoire, comme celle de nombreux scientifiques, révèle le centre du problème : la physique du 20 ème siècle a introduit et confirmé l’idée d’une possible création et non d’une éternité de l’Univers. Et même d’une création finement agencée, où le plus petit changement dans une décimale des constantes à l’origine du développement de l’Univers aurait empêché son développement, où, dès le départ, on constate un big bang programmé soigneusement, avec… intelligence…
Les mises au Goulag, les internements et les exécutions du régime communiste pour exactement les mêmes raisons décimeront les rangs des scientifiques qui prônaient cette nouvelle compréhension de l’Univers : encore une raison de comparer ces deux idéologies si antagonistes mais si proches comme l’a si bien vu V. Grossman dans son sublime roman Vie et destin.
Encore aujourd’hui, affirmer sa foi quand on est scientifique est difficile : « Dans une enquête solide réalisée auprès de 879 biologistes et 903 physiciens appartenant à des institutions classées comme « établissements de recherche américains » par le Conseil national de recherches, 33.8 % des biologistes et physiciens de confession catholique affirment avoir été victimes d’actions discriminatoires plus ou moins explicites dans leurs laboratoires ou au sein de leurs équipes de recherche. 40.3 % des chercheurs de religion protestante déclarent avoir subi des pressions quotidiennes et même des mises à l’écart de leur travail. » (P.161)
L’auteur a le mérite, même s’il le fait rapidement, d’étudier les théories utilisées pour infirmer le principe anthropique aujourd’hui accepté par le plus grand nombre, comme la théorie des supercordes ou la théorie M. La problématique est clairement posée : « Il n’existe que deux issues possibles : soit un Dieu créateur, soit le pur hasard. Dans l’hypothèse du hasard, la probabilité d’obtenir un univers comme le nôtre fut au minimum estimée à 1 chance sur 10 puissance 30 ; aussi, pour qu’une telle improbabilité puisse survenir, fallait-il supposer l’existence de l’ordre de 10 puissance 60 univers indépendants dotés, tous, de lois différentes, c’est-à-dire un nombre gigantesque d’univers existant « ailleurs ». (P. 203) Quand on sait que dans le Sahara, il n’y a « que » 10 puissance 23 de grains de sable, ça laisse songeur…
En fait, la thèse d’un Univers uniquement matériel n’est pas vraiment tenable, même les scientifiques athées le reconnaissent. La science, durant le 20 ème siècle, a résolu trois faits qui rapprochent plus d’une explication créatrice que de son absence : l’Univers a un début, il mourra par déperdition thermique au terme de son expansion et tout a été réglé de façon non aléatoire pour mener à la vie. Ces « vérités scientifiques » impliquent nécessairement et logiquement une idée de création.
C’est aussi ce que nous démontrent les plus récentes découvertes dans le domaine de l’étude du vivant.
Pour ne pas trop prolonger ce texte, je prendrai l’exemple de Daniel Cohen, professeur de génétique et directeur de Genset. Ses recherches l’ont fait passer d’un athéisme plein de certitudes à bien plus de réserves, comme beaucoup de ceux qui sont à la pointe de l’étude du vivant (faut-il rappeler la phrase de Pasteur, qu’on ne peut soupçonner de parti pris sur le sujet : « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science y ramène »). Quand on lit ce qu’écrivent ces scientifiques, l’utilisation de mots tels que « miracle » peut surprendre. Il est par exemple utilisé par Christain de Duve, prix Nobel de physiologie ou par Francis Crick, autre prix Nobel de chimie et pourtant athée militant : « Un honnête homme armé de tout le savoir à notre portée aujourd’hui (en 1981) se devrait d’affirmer que l’origine de la vie paraît actuellement tenir du miracle, tant il y a de conditions à réunir pour la mettre en œuvre. »
La probabilité mathématique pour que les conditions de la vie soient réunies est d’une sur 10 puissance 1500.
Les scientifiques les plus scrupuleux pensent que le hasard ne peut expliquer ce phénomène : « il faudrait bien plus que la durée de l’Univers pour qu’une seule protéine puisse se constituer par hasard à partir des acides aminés qui seraient disponibles autour d’elle. » (p. 239) (rappelons que le vivant le plus simple comporte un minimum de 200 protéines…)
L’auteur a donc écrit ce livre pour permettre de « réaliser à quel point l’hypothèse matérialiste est en fait irréaliste et, à l’inverse, à quel point la thèse théiste est fondée. »
Ce n’est pas une « preuve » mais la présence de Dieu ressentie par tant d’êtres humains depuis qu’ils pensent et sentent n’est pas non plus pour moi une « illusion collective » : la nécessité intérieure qui s’impose à tous ceux qui ne veulent pas fermer leur esprit à cette idée - qui est plus qu’une croyance- est une reconnaissance, en nous, de Sa présence.
Heureux ceux qui ont la chance de la sentir - sola fide! Le livre de Bolloré, dont il faut reconnaître le travail, pourra aider les autres :-)

jaklin
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le 12 mars 2023

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jaklin

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