Bon, petite précision avant de commencer : dans cette critique je vais m'intéresser uniquement au rapport qu'entretenait Descartes avec Dieu, pas à son fameux "je pense = je suis" (même si les deux sont certainement liés) ni à sa réflexion sur le corps et l'âme.
Descartes était sans nul doute un brillant physicien et mathématicien mais son statut de précurseur du cartésianisme sur la question de Dieu est en bonne partie usurpé. Avoir un esprit cartésien, quand bien même son sens a pu évoluer à travers le temps, c'est être rigoureux intellectuellement, être précis et un minimum objectif et logique dans son raisonnement, or ce qui lui a souvent été reproché par ses pairs et ses contemporains c'est justement son rationalisme à géométrie variable.
Pour démontrer l'existence de Dieu celui-ci va vouloir utiliser la raison (ou plutôt "sa" raison) en nous exposant des arguments très médiocres. Il s'avère qu'en fait en voulant se servir de la raison (sa) pour prouver Dieu Descartes va indirectement réfuter Dieu par celle-ci parcequ'il surestimait la sienne. Ou en tout cas il va plutôt réfuter la raison et l'intuition dans leur soi disant faculté à prouver Dieu.
Selon lui l'idée et le concept d'infini ne peut qu'avoir été placé en nous par un esprit supérieur en amont puisque nous ne pouvons pas imaginer une notion comme celle-ci de nous mêmes. Pour lui nous ne devrions pas pouvoir concevoir quelque chose qui dépasse notre entendement, quelque chose dont nous ne pouvons faire l'expérience, quelque chose qui précède notre nature et qui devrait donc nous être inintelligible. Or, Descartes oublie que nous concevons l'infini justement à partir du fini, nous concevons l'infini par expérience du fini. Il y a ce rapport de cause à effet évident. On pense à un opposé par rapport à ce que nous appréhendons empiriquement à notre échelle depuis longtemps. De la même manière qu'on imagine la perfection à travers notre imperfection l'infini ne peut donc exister qu'au travers du fini car les deux sont indissociables. Je veux dire que, et c'est peut être notre tort, les deux mots sont indissociables au moins étymologiquement.
Tout ça ne se crée ni ne se place pas spontanément dans notre esprit, tout ça n'est jamais innée, on l'acquiert avec le temps. Nous pouvons même percevoir de l'infini selon notre perception visuelle des choses d'ailleurs puisque celle-ci est limitée, ça s'appelle l'horizon.
Descartes va par ailleurs associer l'infini à Dieu. On en revient au même problème dans son argumentaire : celui de démontrer Dieu via une pétition de principe. C'est à dire en plaçant Dieu à la fois en prémisse et en présupposé d'une démonstration ET en conclusion. En gros il prend pour vrai et pour point initial ce qui doit d'abord être démontré. C'est à dire la définition même de Dieu avec toutes les caractéristiques, propriétés et intentions qui lui sont associées. Pour Descartes Dieu existe parce que sa définition nous dit qu'il existe... Il avance également que le libre arbitre existe car nous donnons une responsabilité morale et éthique à nos actes, c'est le même genre d'argument faiblard...
Non seulement ce raisonnement ontologique ne tient pas debout mais même si c'était le cas une démonstration via la pensée et la dialectique ne sert toujours qu'à démontrer sa validité sur le papier, aucunement la véracité de son contenu, aucunement l'affirmation qui en découle et qui y est associée. C'est du moins ce que nous dit l'empirisme pragmatique (auquel j'adhère complétement) aujourd'hui et même déjà au XVII ème.
C'est donc assez moyen de prendre comme argent comptant une définition théologique d'une notion aussi abstraite et subjective que Dieu, de s'en servir comme base d'un argumentaire.
Alors je sais que c'est facile pour nous, des siècles après, de fustiger l'argumentation de René en soulignant ses biais cognitifs mais pourtant le scepticisme méthodique à son époque avait déjà été pensé et mis en pratique depuis pas mal de temps par d'autres penseurs et auteurs plus ou moins connus.
Ce philosophe aura au moins eu le mérite de populariser et de démocratiser le gros potentiel de la raison dans sa capacité à pouvoir penser les choses, à formuler des réflexions fécondes, mais il l'a fait non seulement à ses dépens et pour de mauvaises raisons. Et il est même plus juste de dire qu'il a, avec le temps, surtout mis en exergue les limites de la raison elle même plutôt que son potentiel. Il a échoué dans sa volonté d'unir la foi, la spiritualité et le divin avec la science de la raison. Il a échoué dans sa volonté de concilier la métaphysique avec le rationalisme. Son discours de la méthode était justement trop irrationnel. Descartes est donc tombé dans une impasse intellectuelle.