Mes connaissances sur Albert Camus sont très limitées, aussi j'éviterai de me ridiculiser en écrivant une longue et fastidieuse critique car hormis Le Mythe de Sisyphe, je n'ai rien lu d'autre pour le moment. Albert Camus est un des rares auteurs au XXe siècle dont on entend toujours parler sans même faire un quelconque effort en ce sens. C'est la raison pour laquelle il me paraît indispensable de m'atteler un jour à son oeuvre tout en gardant bien sagement dans un coin de ma tête les nombreuses récupérations politiques de cet homme brillant. Bien connu pour sa prise de position sur la guerre d'Algérie, Albert Camus nous livre ici un Discours de Suède prononcé en 1957 lors de sa remise du prix Nobel de littérature. D'une rare éloquence, l'auteur redéfini les contours du rôle et de la place de l'artiste dans notre société. Sa verve est fulgurante et d'une actualité déconcertante. En à peine 50 pages, on ne compte plus les passages de bravoure déjà entrés dans la postérité. Au programme : dénonciation de la société marchande, des artistes vulgaires assujettis au pur divertissement et déconnectés du réel, critique courageuse de "l'Europe bourgeoise" qu'il juge irresponsable et comme dit précédemment, injonction faîtes aux artistes de ce siècle de prendre parti, d'être libres et d'accompagner la marche du monde, devenu fou, d'une plume critique et indépendante. Telle est la dialectique implacable de ce court texte pugnace et révolté. Remis dans le contexte turbulent du milieu du XXe siècle, ce discours en ressort d'autant plus marquant. Entre la première et la seconde guerre mondiale, les décolonisations, les camps de concentration, la Guerre Froide et l'esclavage moderne, il y'a effectivement de quoi affirmer :
Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.
Je terminerai cette mini critique sur le Discours de Suède, premièrement en vous le recommandant, deuxièmement en vous livrant un passage qui, de la main Camus, m'a beaucoup surpris :
Comment s'étonner dès lors que presque tout ce qui a été créé de valable dans l'Europe marchande du XIXe et du XXe siècle, en littérature par exemple, se soit édifié contre la société de son temps ! On peut dire que jusqu'aux approches de la Révolution française, la littérature en exercice est, en gros, une littérature de consentement. À partir du moment où la société bourgeoise, issue de la révolution, est stabilisée, se développe au contraire une littérature de révolte. Les valeurs officielles sont alors niées, chez nous par exemple, soit par les porteurs de valeurs révolutionnaires, des romantiques à Rimbaud, soit par les mainteneurs de valeurs aristocratiques, dont Vigny et Balzac sont de bons exemples. Dans les deux cas, peuple et aristocratie, qui sont les deux sources de toute civilisation, s'inscrivent contre la société factice de leur temps.