V ou L'Origine du monde
V. Troublant trou noir engloutissant les siècles et les continents. L’expliquer c’est s’y perdre encore plus et tomber dans l’écueil du « qu’est-ce que ça raconte ? ». L’opinion le qualifie...
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le 2 févr. 2022
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Le rêve a trouvé depuis les origines ses plus fins peintres, et l'abondance des possibilités qu'il fournit rend l'exercice périlleux pour l'écrivain (le cinéaste, etc.) qui peut très bien, à la fin, n'avoir rien dit avec génie - et par là toucher l'intérêt même du rêve - ou s'être englué dans son propre fantasme intérieur en pensant naïvement que le lecteur pourra s'en satisfaire. Au bout du compte, les expériences semblent coïncider - on a souvent pas compris grand chose, ou ce que l'on a compris fait sens isolément, mais pas dans une chronologie acceptable pour l'esprit - mais le premier cas de figure laisse entrevoir un monde intérieur impossible à sonder, c 'est une invitation à plonger, quand le second n'y parvient pas en laissant au lecteur l'impression d'avoir perdu son temps.
Djinn. Un trou rouge entre les pavés disjoints est un livre bien étrange. Comme le dit sa brève description, il n'y a pas tant dans ces pages un récit perturbé plutôt que la superposition constante de possibilités narratives entrecroisées et entrevues. Comme souvent chez Robbe-Grillet, une histoire en cache une autre et cela se retrouve dans l'agencement même du texte, par le cadre donné lors du prologue et de l'épilogue. Entre les deux, 150 pages de brouillard où des formes et structures apparaissent brusquement pour aussitôt disparaître et se désagréger, comme gênées par l'attention que la narration leur porte. Le lecteur est aveugle et marche à tâtons ne sachant quel monstre ou quelle surprise lumineuse se cache à la page suivante.
Un homme a, semble-t-il, disparu sans laisser de traces, sinon un peu moins d'une centaine de feuillets reliés parmi lesquels se trouve un drôle de récit. Les enquêteurs y trouvent huit chapitres dont la lecture fait allusion à l'itinéraire perturbé d'un certain Simon Lecoeur, qui parfois s'appelle aussi Boris. Il a d'abord accepté un job louche dans un hangar en répondant à l'annonce d'une américaine invisible et enchanteresse. Elle s'appelle Jean, mais dites plutôt Djinn. Parfois, Simon s'appelle aussi Jean, sauf que, cette fois, il faut dire Yann. Djinn ressemble à Jane Franck, et elle demande à Simon d'aller à la gare. Mais Simon tombe en chemin sur un enfant qui chute devant lui et ne se relève pas. Il s'appelle aussi Jean. Sa soeur arrive bientôt, elle s'appelle Marie, elle a environ huit ans, mais une autre fois elle sera adulte. Les enfants n'ont pas de père, mais peut-être est-ce Simon leur père, c'est ce qu'ils disent, mais lui ne les croit pas. Apparemment Jean fait souvent de telles chutes et met plusieurs heures (jours, années ?) à se réveiller. Tout, entretemps, peut arriver. Simon existe-t-il lui-même ?
Le lecteur est un enquêteur et les images qu'emploie Robbe-Grillet sont par moment vraiment saisissantes. Il a réussi à créer, dans les codes de son mouvement chéri, une histoire qui n'existe pas, dont on n'observe que le négatif. Sa présence n'est imputable qu'à la perception de son absence, et les quelques débris qui subsistent apparaissent malades et dérangés. On pense un moment trouver ce qui cloche, on s'en amuse, mais d'un moment à l'autre l'univers éphémère qu'on s'est construit vole en éclats, et il faut tout recommencer. Il n'y a ni rire ni peur, mais seulement l'impression troublante et inexplicable d'avoir toujours été là, d'être déjà passé dans cette rue, que tous ces gens qu'on rencontre se connaissent secrètement, et que notre existence n'est due qu'au dormeur agité qui nous offre une place dans son rêve.
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le 10 août 2021
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