S'il y a bien un enseignement à ne jamais oublier, c'est qu'il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Ce principe métaphorique fonctionne à merveille pour une application littérale.
Pourtant, le charme de Dôme commence par là : une couverture et un nom accrocheurs suscitent un imaginaire puissant, fantastique, provoquent cette petite voix enjôleuse qui dit "ouiiiiiiiii", déjà charmée par ce que l'image, le titre, le pitch, l'auteur, susurrent doucement à l'oreille.
Et si l'histoire promet d'être longue, puisque deux tomes sont nécessaires pour boucler l'histoire dans sa version française, permettant à l'éditeur d'engranger encore plus de fric avec le million seller systématique qu'est Stephen King, mais épargnant au lecteur l'effort physique de porter sur lui et de soulever 1 500 pages à la fois, la foultitude de personnages trépanés que les premières pages présentent assurent qu'on ne s'ennuiera pas...
King nous entraîne dans l'ambition démesurée du 1er adjoint au maire, un type sans foi ni loi autres que son désir de pouvoir, de cette fin qui justifie tous les moyens, et de l'ensemble des outils (les habitants de la ville, les idiots, les crétins et les mauvais esprits) qu'il a à sa disposition pour atteindre son but, contre les obstacles qui se dressent sur sa route (ceux qui pensent, les démocrates, les humains à soumettre à sa seule volonté, etc.) Dans cette bourgade de Chester's Mill, soudain isolée du monde, la dictature atroce a tôt fait de s'annoncer.
Ici pourtant, point de politique qui dépasse la fiction. Stephen King possède une écriture souple et on tourne les nombreuses pages avec un plaisir toujours renouvelé, sans toutefois pouvoir crier au génie. On reste loin, à la fois d'une véritable allégorie du totalitarisme, que la classe pensante supérieure s'imagine que l'ouvrage porte, et d'une analyse poussée des relations humaines en période de crise.
On sent bien se développer une vision négative du politique, on percute le contexte, les sujets sous-jacents, dont ceux du totalitarisme et de l'âme humaine, et même celui de l'écologie, du présentisme, du manque d'ambition de l'homme pour lui-même, sa petitesse, mais le propos de l'auteur n'est pas celui-là, ni son but.
Pour ce qui est de l'allégorie du totalitarisme, de biens meilleurs auteurs l'ont écrite, et de bien meilleure manière (La ferme des animaux, 1984 pour Orwell, La peste pour Camus). Quant aux réactions humaines soumises à une situation inédite de stress et d'angoisse, Kirkman et sa bédé Walking dead ont poussé le trip bien plus loin, et de façon bien plus intelligente et implacable. Si on se demande ce qu'on aurait fait à la place des personnages, il est difficile de se dire qu'on aurait agi différemment. Dans Dôme, cette réflexion demeure pourtant constante. C'est d'ailleurs le défaut majeur du livre : tout se barre en couilles de manière illogique et pas toujours bien pensée.
Mais King raconte une histoire. Et c'est là que son talent s'exerce. Légère, avec des gueules marquantes même si parfois caricaturales, dramatique à cause de cette mise en scène cruelle, de cette cruauté qui n'épargne personne, et frustrante aussi, à cause de tous ces enchaînements bercés par le hasard qui ne relèvent pas de la logique, qui ne flattent pas l'intellect, qui font courir malgré lui le lecteur vers un précipice trop évident, comme si chaque décision n'était guidée que par les conséquences qu'elles pourraient entraîner, et que le pire l'emportait à chaque instant. Toujours.
Si on parvient à mettre de côté ces quelques tares, ce premier tome se révèle pourtant vraiment intéressant, ne serait-ce que dans le fait de faire lire plus de 800 pages sans qu'on s'en rende bien compte. Et si l'on peste de temps en temps, on s'énerve, on s'attache aussi à ces prisonniers du destin, et on frissone des mésaventures et des dangers incessants, et de plus en plus funestes, qui les guettent, implacables.