Voilà un moment que l'on commence à décrier les déferlantes continues de polars nordiques, même si l'on avait été ravi de succomber à la première vague.
Voilà même quelques temps que l'on condamne Jo Nesbø, pris en flagrant délit de remplissage de tête de gondole de relais tgv.
C'est dire avec quels préjugés on a abordé ce Sang sur la glace !
Même si l'on avait lu par avance que cet exercice de style, sans Harry Hole, sortait un peu des sentiers battus et rebattus par Jo Nesbø, la surprise a été grande !
Effectivement, l'auteur abandonne bien son détective fétiche imbibé. Effectivement, il se livre à une sorte de pastiche des romans noirs à ranger sur l'étagère des polars hard-boiled.
Mais avec quel humour et surtout quel brio !
La plume de Jo Nesbø a toujours été très maîtrisée et particulièrement agréable à lire (jusque dans ses dernières livraisons un peu trop commerciales) et ce bouquin est une preuve supplémentaire que ce gars-là sait vraiment très bien écrire (et pas toujours dans le même registre).
Et là, notre écrivain s'en donne à coeur joie : visiblement il s'est franchement amusé et notre plaisir de lecteur est à la hauteur.
On est toujours en Norvège, dans les années 70.
Et nous voici propulsés dans la tête d'un truand, Olav.
Olav n'était finalement doué ni pour les braquages, ni pour le proxénétisme. Il sera tueurs à gages.
Mais voici que Hoffmann, le patron d'Olav, lui demande d'expédier (sous entendu ad patres) sa propre femme, oui, Corina la femme du patron.Même si la demande est bien légitime (elle est infidèle), Olav est bien embêté par cette nouvelle mission, pas facile à gérer, en dépit d'une grosse prime à la clé.
[...] La nouvelle mission que m'avait confiée Hoffmann me défrisait
fortement. Il voulait que j'expédie sa femme. [...] Tout me plaisait
chez Corina Hoffmann. Tout, sauf son nom de famille.
[...] Je me sentais comme un gars qui est assis à une table de poker
avec quatre mauvais perdants lourdement armés et naturellement
suspicieux. Et on venait de me distribuer une main de quatre as.
Parfois, les bonnes nouvelles sont si invraisemblablement bonnes
qu'elles sont mauvaises.
Bien évidemment, Olav va tomber raide amoureux de la donzelle infidèle.
Et toujours bien évidemment, rien ne va se dérouler comme prévu.
On ne vous en raconte pas plus, cela n'aurait d'ailleurs pas grand intérêt ici : vous avez déjà lu cette histoire au moins une dizaine de fois, c'est le principe même de ce 'à la manière de ...'.
On peut ranger par exemple, ce bouquin juste à côté d'un autre coup de coeur : Il faut tuer Lewis Winter, de Malcolm MacKay.
Mais en bon écivain, Jo Nesbø a l'excellente idée d'épicer ce qui aurait pu n'être qu'un bel hommage aux anciens, qu'un habile exercice de style, de quelques saveurs inattendues.
Et en premier lieu la personnalité d'Olav, le tueur à gages : dyslexique, nul en calcul, un gars qui évite de réfléchir.
[...] Je réfléchissais. D'ordinaire, j'essaie de m'en abstenir, ce
n'est pas là une activité dans laquelle je vois un potentiel
d'amélioration par la pratique, et, d'expérience, elle mène rarement à
quoi que ce soit de bon.
Mais un gars qui lit Victor Hugo (pas facile quand on est dyslexique), qui écrit des poemes (encore moins facile, il faut patiemment remettre toutes les lettres dans le bon ordre) et qui cite les philosophes : Darwin, Hume, ...
Et puis, après une tuerie apocalyptique, il y a dernière partie du bouquin : c'est elle qui explique le coup de coeur, et dans tous les sens du mot.
Car l'auteur est un petit malin qui nous a promené par le bout du nez : histoire de tueurs sans pitié, humour au second degré, pastiche de polar hard-boiled, ... ouais, ouais, on avait bien entendu vu tout cela ...
Mais Jo Nesbø est coutumier des longues fausses pistes et tout cela cachait soigneusement une autre histoire, presqu'un autre bouquin et une très belle histoire ... d'amour. Et oui.
Allez, souhaitons que Jo Nesbø sache encore nous surprendre.
Un bouquin pour tous : pour les fans de Jo Nesbø qui ne seront pas déçus (même en l'absence d'Harry Hole), pour les fans de polars qui ne seront pas déçus ou tout simplement pour ceux qui veulent un bouquin facile, agréable, amusant et surprenant (et rafraîchissant) pour les plages cet été, et qui ne seront pas déçus non plus.