Que faire lorsqu’on a 62 ans et que l’on pense subitement n’avoir rien réalisé de sa vie ? Quand avoir réussi professionnellement ne compte pas et qu'avoir eu une vie conjugale et familiale harmonieuses, ne compte pas plus.
On ne peut que déprimer !
Et quels sont pour l’entourage de Duane les symptômes évidents de cette dépression ?
D’abord abandonner son pick-up et se déplacer à pied, ce qui au Texas peut passer pour une forme d’aliénation grave.
Ensuite, retaper une vieille cabane, s’y installer avec son chien et n’accepter que les visites de Bobby Lee, encore plus dépressif, mais lui, c’est parce qu’il a perdu un testicule.
Ensuite, acheter une hache pour couper du bois pour l’hiver
Enfin, acheter un vélo pour aller de plus en plus loin.
Et bien que ça n’aille toujours pas mieux, peut alors commencer, pour Duane, son grand œuvre : nettoyer le désert de ses déchets, faire des gâteaux, aller voir les pyramides, créer un potager gigantesque et lire Proust, sur les recommandations de sa psy, dont il est amoureux, mais en vain, puisqu’elle est lesbienne.
Mais Proust peut-il guérir de la dépression ou, au contraire, l’aggraver par ses phrases qui font dix lignes et obligent les neurones d’un texan, dénué de toute prétention intellectuelle, à travailler plus que de raison ? Et si cette notion de temps, par la magie d’un mot ou d’une image, faisait ressurgir en lui des souvenirs qui étaient les vraies balises de sa vie ? Et si, au fond, Duane n’était pas dépressif mais s’ennuyait simplement ?
C’est un roman protéiforme que ce troisième volet de la saga Duane Moore, sur le Texas. C’est un regard caustique sur la société texane et son étroitesse d’esprit autant que son incurie culturelle ; c’est l’histoire aigre-douce d’un homme qui arrive à un croisement et hésite quant à la direction à prendre ; c’est l’histoire jouissive d’une famille farfelue où le mot « discipline » a été rayé, à tout jamais du vocabulaire de la maison ; c’est la rencontre avec des personnages déjantés dont la truculence n’a rien à envier à Rabelais; c’est l’épopée d’un anti héros qui se déplace à pied au milieu des champs pétrolifères. C’est l’histoire d’un homme. Simplement l’histoire d’un homme, mais d’un homme singulièrement attachant.
Peut-être que les anciens porteront sur cet homme un regard un peu plus attentif et bienveillant que les autres…