Ce roman commence bien et nous rappelle plusieurs anciens livres de Stephen King :
- "Sac d'os" pour l'artiste seul dans une grande maison étrange
- "Histoire de Lisey" pour le nouveau langage
- "Rose Madder" pour les tableaux qui s'animent et interagissent avec la réalité
Le style direct à la première personne fait qu'on s'attache rapidement au héros. Ce manchot qui devient un peintre de grand talent est touchant dans ses relations avec sa fille cadette. On souffre avec lui, et peu à peu, on perçoit une lueur d'espoir avec ce talent qui se dévoile. Cependant, aux deux-tiers du livre, Stephen King se désintéresse de son héros et part dans un trip surnaturel plutôt malvenu. Le roman devient alors très bavard, poussif, et les pseudo-explications sont un peu trop tirées par les cheveux pour que l'on continue à prendre tout ça au sérieux.
Edgar Freemantle perd alors une grande partie de son mystère et de son attrait, et il ne devient plus qu'un banal héros King-ien en charge de résoudre un mystère vieux de 80 ans. Si encore cette histoire des années 20 était riche en rebondissements, ça passerait, mais franchement, les pérégrinations de la famille Eastlake à Duma Key sont d'un ennui mortel... Perse par ci, Nan Melda par là, et va-s-y que je te dessine et que je te gomme avec mes crayons de couleur magiques... King tombe dans l'absurde, fait du surplace avec l'intrigue, et ses personnages deviennent caricaturaux sur la fin. Un exemple tout bête : Wireman avait une vraie personnalité à ses débuts, et son histoire d'amitié avec Edgar était criante de vérité, mais dès que l'histoire s'est emballée, il est devenu un énième faire-valoir qui n'avait plus aucune saveur.
Et puis je vous avoue que cette tendance des héros de King à insulter les méchants à tout bout de chant m'agace profondément (c'était déjà le cas dans les derniers épisodes de la Tour Sombre), de même que ce manichéisme gentil/méchant de plus en plus flagrant au fur et à mesure que sa carrière avance.
Autre gros reproche : l'auteur annonce à l'avance plusieurs rebondissements du scénario au détour d'une phrase, et par conséquent, ces derniers tombent complètement à plat. Enfin, mais c'est plutôt une déception personnelle qu'autre chose, j'aurais aimé que les tableaux peints par Edgar soient visibles dans une édition illustrée, ou même sur le site officiel de Stephen King : l'auteur passe en effet un temps fou à les décrire, mais au final, il est difficile de se faire une idée précise de ce à quoi ils ressemblent.
Donc voilà, ce roman me divise :
- j'ai adoré les 450 premières pages : le quotidien d'un homme détruit après un grave accident, et sa reconstruction à travers l'art et l'amitié évoque forcément la vie de Stephen King après son grave accident de 1999, et ce roman est probablement l'un de ses plus personnels, notamment dans son rapport à la souffrance
- les 200 dernières (le surnaturel, l'exploration, la confrontation finale) m'ont conforté dans l'idée que Stephen King était devenu incapable de boucler correctement un roman. Il nous avait déjà dit à plusieurs reprises qu'il écrivait sans forcément connaître la fin de ses intrigues et qu'il naviguait un peu à vue, et malheureusement, ça se sent dans ce roman dès que l'action s'emballe un peu trop : l'intrigue est un peu bâclée, et les personnages perdent en intérêt.