DUNE semble être connu et inconnu. Tout le monde en a entendu parler (surtout en ce moment) mais peu de monde l'a lu. Il est pourtant un fondement universel et intemporel pour tout ce qui viendra après. Pourquoi ? Difficile de répondre à cette question nécessitant bien plus que quelques lignes d'une bafouille imparfaite. DUNE est riche, épique et grandiose mais en même temps bien plus que cela.
Lors de ces 800 et quelques pages de ce premier tome (!), on plonge dans cet univers pour se fracasser le nez sur les hermétiques cent premières pages. Toutefois, ces pages sont le fondement d'une histoire aux multiples thématiques toujours aussi contemporaines plus de cinquante ans après sa publication. Le style d'Herbert peut en rebuter plus d'un tant son écriture s'avère froide et précise mais étonnamment percutante dans sa description des rapports humains, cynique dans son analyse de l'Humanité et de sa société. Il parvient même à atteindre le sublime dans son ambiance au gré de quelques scènes mémorables.
"Le besoin pressant d'un univers logique et cohérent est profondément
ancré dans l'inconscient humain. Mais l'univers réel est toujours à un
pas au-delà de la logique."
Lorsque l'on comprend que l'auteur ne nous fera pas de cadeau pour expliciter telle ou telle idée composant son univers sans fin, on réalise que DUNE est un roman sur le lâcher-prise. Un roman traversé de pensées philosophiques profondes et inspirantes, de moments de bravoures à la puissance évocatrice certaines et d'instants hors du temps captant l'essence de la vie. Herbert de par son développement de l'intrigue (au demeurant parfaitement ficelée et rythmée) parviendra à faire appréhender les éléments, les textures, les odeurs et les couleurs. On ressent l'ensemble des éléments constituant la vie et cette planète aussi desséché qu'elle est riche. Mais cela nécessite un lâcher-prise pour enfin ressentir plus que comprendre.
"La véritable richesse d'une planète est dans ses paysages, dans le
rôle que nous jouons dans cette source primordiale de civilisation :
l'agriculture."
Parmi les grandes thématiques abordées par l'auteur, l'écologie tient une place prépondérante dans cette trinité qu'elle forme avec la religion et la politique. En développant ce point, il révèle les principales préoccupations du siècle dernier et du nôtre. Comme en avance sur son temps et les réflexions menées aujourd'hui, Herbert interroge notre rapport à la nature, notre amour pour celle-ci et le soin que nous devons y porter. Il garde d'ailleurs un point de vue extrêmement optimiste que nous n'avons peut-être plus à ce jour. Tout ces éléments sont brassés au travers de notre lien ténu avec la spiritualité innée de l'être humain ici développée et opposée à la religion dépeinte de manière cynique et maléfique dans sa posture d'institution gouvernante. Quand en plus se trouve impliqué la politique, toujours au centre des enjeux de l'Humanité, dont les rouages son clairs pour Herbert, on obtient un roman d'une densité folle. Au risque de perdre des lecteurs, l'auteur ira au bout de sa démarche et ses idées aux détours de scènes et séquences remarquables ; parangon de sa pensée et grands moments de ma vie de lecteur.
"Tous ses visages bavards l'écœuraient soudain. Ce n'étaient que des
masques dérisoires appliqués sur des pensées infectes et les voix
essayaient en vain de dominer le profond silence qui régnait dans
chaque poitrine. "
Mais que serait un univers aussi dense sans personnages forts ? Le risque dans ce genre de roman, c'est que l'intrigue centrale et le développement des personnages soient écrasés par cet univers. Dans DUNE, c'est tout le contraire. Au sein de ce monde, vivent de nombreux personnages divinement écrits et caractérisés. Paul est un personnage aux conflits intérieurs passionnants et à la psychologie aussi épaisse que le roman lui-même. Dame Jessica est également parfaitement servis par la plume d'Herbert qui en fait l'un des protagonistes féminins les plus puissants et fascinants de la littérature. Elle est d'une telle importance et possède tant de séquences marquantes qu'elle en volerait la première place. Ces deux piliers sont entourés de nombreux personnages secondaires aussi développés qu'intéressants et tous sont pourvus d'une scène où se révèle leur profondeur. Tout cela fini par faire de DUNE un livre à l'humanité confondante où chaque personnage recèle d'une part de nous-mêmes.
"La personne qui connait la grandeur doit percevoir le mythe qui
l'entoure. Elle doit se montrer puissamment ironique."
Malgré tout quelques scories sont présentes. Une légère baisse de rythme dans sa deuxième partie bien qu'elle soit d'une importance capitale mais aussi le fait qu'Herbert s'embourbe un peu dans l'action, ne parvenant pas forcément à la spatialiser ou la décrire. Il se refuse aussi parfois à l'écrire - pour laisser place à l'imaginaire du lecteur ? Peut-être. On peut également noter le manque d'épaisseur des antagonistes et une fin négligée car expédiée. Mais tout cela est infime face aux innombrables qualités dont regorge cet essai sur le pouvoir sous toutes ses formes. Car là se trouve sûrement le socle que chacun discernera rapidement de par la clarté du récit. Sous toutes ces thématiques majeures, le pouvoir est la clé de toutes les possibilités, bonnes ou mauvaises. Le pouvoir comme vertu ou comme la plus grande de toutes les perversités.
Plus qu'à découvrir le reste de ce fantastique univers…