J'ai déjà lu avant Ecce Homo d'autres oeuvres de F. Nietzsche... celle-ci je l'ai écoutée grâce à un excellent livre audio interprété par Dag Jeanneret aux Editions Thélème.
Il s'agit dans cette œuvre de 1888, ayant comme sous-titre "Comment on devient ce qu'on est", d'un mélange entre autobiographie, analyse rétrospective des écrits du philosophe et pamphlet virulent contre les allemands et la morale chrétienne. Cet opus se termine par la célèbre formule "Dionysos face au Crucifié...".
Il est assez ironique de constater que le philologue Nietzsche devenu philosophe, pour lequel les Grecs représentent la perfection et l'idéal, soit précisément tombé avec Ecce Homo dans le "péché capital" des Grecs, celui de l'hybris, autrement dit la démesure de celui qui se méconnaissant lui-même se fait l'égal des dieux, autrement dit le péché d'orgueil.
Dans Ecce Homo Nietzche l'incompris, victime de la barbarie allemande, se retourne contre son peuple dans un vif ressentiment, car ses œuvres n'ont pas eu un accueil favorable, loin s'en faut, parmi ses contemporains en Allemagne, si bien qu'il a été obligé de supplier et de payer ses éditeurs pour pouvoir continuer à être édité. Ecce Homo est en partie une vengeance anti-allemande pour cette faute de goût qui a consisté à ignorer tout simplement les "chef d'œuvres" du philosophe. "M'a-t-on compris?" Telle est la question qui revient souvent dans la dernière partie du livre.
Une litanie particulièrement désagréable scande le livre: j'ai été le premier, avant moi personne n'a rien compris à rien, je suis un génie, c'est moi le premier qui ai mis en lumière telle ou telle chose etc. Bref Nietzsche s'autoproclame génie et génial. Il est tout simplement le premier des philosophes, le premier psychologue, le premier honnête homme, le premier immoraliste, le premier à avoir dévoilé la supercherie de la morale chrétienne. Peu importe qu'il ait été le seul à le penser à son époque. Avant Nietzsche tout n'était que ténèbres et océan d'erreurs. Goethe, Shakespeare, Dante ne sont que des nains face à Zarathoustra. Le délire orgueilleux de l'auteur est particulièrement présent dans la partie d'Ecce Homo où il revient sur Le crépuscule des idoles (Pourquoi j'écris de si bon livres).
Parmi tous les livres, Le Crépuscule des idoles représente une exception; il n'existe rien de plus substantiel, de plus indépendant, de plus subversif - de plus méchant. Si l'on veut se faire rapidement une idée à quel point AVANT MOI TOUT était placé la tête en bas, il faut commencer par la lecture de cet ouvrage... Moi seul, je tiens la mesure pour les "vérités", moi seul, je suis capable de juger... Et, très sérieusement, personne ne connaissait AVANT MOI le droit chemin, le chemin qui mène en haut. Ce n'est qu'à dater de MOI qu'il existe de nouveau des espoirs, des tâches, des voies vers la civilisation dont le tracé est indiqué.
"Je fus le premier à découvrir la vérité... Mon génie se trouve dans mes narines... Je connais des taches qui sont d'une telle hauteur que la notion en a fait défaut jusqu'à présent; ce n'est que depuis que je suis venu qu'il y a de nouveau des espérances... C'est seulement à partir de moi qu'il y a dans le monde une grande politique."
La boursoufflure orgueilleuse et prétentieuse de Nietzsche serait à proprement insupportable dans Ecce Homo si son style littéraire n'était pas aussi beau et puissant qu'il peut l'être en de nombreux passages de l'œuvre.
Ce n'est pas Jésus-Christ qui divise l'histoire de l'humanité en deux ères, mais bien Nietzsche se présentant lui-même à nous comme une espèce de Messie, de Sauveur, de dieu génial, de libérateur dans son délire autoglorificateur. A quoi bon déboulonner les idoles pour faire de soi-même une idole? Ecce Homo pourrait bien être interprété comme l'œuvre d'adoration érigée en l'honneur du génie Nietzsche par Nietzsche lui-même... Une auto-idolâtrie en somme.
"Il brise l'histoire de l'humanité en deux tronçons. On vit avant lui, on vit après lui."
Bref tout commence avec la naissance du génie Nietzsche le 15 octobre 1844. Qu'on se le dise donc, nous vivons en l'an 179 de l'ère nietzschéenne!