Lorsqu’on ouvre un roman d’Haruki Murakami, on doit se préparer à un éloge de la lenteur et de la contemplation, un défilé de pages où il ne se passe a priori pas grand chose, mais, et c’est là toute la force de l’auteur, une véritable plongée dans une atmosphère à nulle autre pareille. Comme dans un film de Wong Kar Wai, Murakami est capable d’un petit rien d’écrire une histoire, entre onirisme, rêverie contemplative et réalité brute. Et on se surprend à constater que notre lecture nous a emmené pas seulement vingt ou trente pages plus loin, mais là où l’auteur voulait nous emmener très précisément.
En préface à ses deux romans, Ecoute le chant du Vent, et Flipper 1973, Murakami nous apprend qu’il les appelle "écrits sur la table de la cuisine ». A l’époque jeune barman, il n’avait guère de temps à se consacrer à l’écriture, et c’était souvent sa journée finie qu’il commençait à coucher ses histoires sur papier. Conscient de vouloir faire « autre chose », il a déjà rédigé en Anglais, langue qu’il maitrisait mal, avant de traduire en Japonais. C’est peut-être pourquoi ces deux oeuvres apparaissent si dépouillées mais en même temps si profondes, si intenses, comme si l’auteur avait puisé en lui la quintessence de ce qu’il lui était possible d’écrire.
Que fait-on dans ces deux premiers opus? On contemple. On boit de la bière, beaucoup de bière, et on fume.Beaucoup aussi. On croise des personnages impossibles, comme cette fille à qui il manque un doigt, qui apparait et disparait dans la vie du premier personnage. On rencontre un traducteur qui couche avec des jumelles qu’il n’arrive pas à distinguer, on assiste à « l’enterrement » d’un vieux tableau électrique défectueux ( en fait sa noyade dans une retenue d’eau) on suit le parcours désespéré d’un amoureux des vieux flippers à la recherche de la machine sur laquelle il a établi un record. On découvre le personnage du Rat, un écrivain qui ne veut jamais écrire une seule ligne d’amour et de mort dans ses romans, qui passe sa vie entre le souvenir d’une femme qu’il a aimé et qui habite près du port, et le J’s Bar, sorte de repère immuable par rapport à tout ce qui fuit et se transforme inexorablement: la jeunesse, la société, le passé, la vie. L’auteur lui-même parle d’une forme de « trilogie du rat », celui-ci revenant dans un dernier roman écrit par la suite.
Certes, on m’accusera de ne pas faire forcément preuve de discernement en ce qui concerne Murakami, on pourra considérer que ses deux première oeuvres n’ont pas encore la puissance des suivantes, peu importe. Je suis loin d’avoir lu la totalité de son oeuvre, mais je sais que ce sera forcément le cas un jour au l’autre.Ne serait-ce que parce que Murakami est un auteur différent, avec un style et une poésie qui lui est propre.