Première oeuvre de Romain Gary, en tout cas sous ce nom, la guerre n'était même pas finie qu'il jetait déjà tout ça sur du papier.
Déversoir de mots, de messages et de désespoir, le récit tangue, décousu, comme un trop plein qui déborde. Un instant d'envolée poétique puis brusquement un dialogue terre à terre, un soudain revirement vers un humour enfantin...qui retombe aussitôt dans une violence nue.
Les histoires sont multiples et c'est comme si plein de petites nouvelles s'était mélangées les unes aux autres de façon un peu désordonnée.
Si Romain n'avait pas eu 30 ans à cette époque, j'aurais dit roman d'adolescent. Le récit retrace le parcours d'un jeune polonais pendant la guerre, coincé entre les Russes et les Allemands dans un maquis misérable, et faisant son "Education Européenne", première pierre du cynisme dont l'auteur se caractérisera toute sa vie.
Fait amusant, l'histoire est très similaire à son dernier roman, écrit 35 ans plus tard, Les Cerfs Volant. Un jeune garçon subit la guerre et se mêle activement à la résistance dans les deux cas. Mais Education Européenne est plus sombre, plus désespéré. Romain sort tout juste de la guerre et il en sort écœuré, déçu par le genre humain. Il mettra longtemps à retrouver un semblant de foi et d'espoir et à l'instiller dans ses romans.
Dans Education Européenne le jeune garçon regarde le Rossignol chanter avec cynisme et mourir avec désespoir. Dans Les Cerfs Volant, ce sera lui le Rossignol, un peu.
Malgré cette noirceur, la poésie de la langue nous offre un petit bijou rempli de métaphores et de trésors comme "Le patriotisme c'est l'amour des siens, le nationalisme c'est la haine des autres", "Rien d'important de meurt", ou encore "...que le monde des hommes n'était qu'un sac immense de patates dans lequel se débattait une masse informe de patates aveugles: l'humanité"