Deuxième roman de Soljenitsyne après Une journée d'Ivan Denissovitch. Publié quand Solji écrivait déjà en cachette ce qui allait devenir l'Archipel du Goulag sur des feuilles minuscules enterrées à droite à gauche dans les jardins amis.
Roman grandement autobiographique, la trame a comme personnage principal Kostoglotov, qui a passé du temps dans un camp de travail, envoyé ensuite en exil pour découvrir qu'il avait un cancer: exactement comme Soljenitsyne lui même. Il se retrouve dans ce "pavillon des cancereux" au milieu d'un mélange ironique de toute la variété de population présente dans l'empire soviétique, et que le cancer a frappé de manière indiscriminée: un agent du KGB, un jeune innocent qui perd sa jambe, un révolté honteux d'avoir courbé la tête tant d'année, un contremaitre écervelé et énergique, une jeune fille aussi prétentieuse que démunie, etc...
Oeuvre d'une richesse surprenante qui traite des sujets les plus politiques aux plus personnels: le régime soviétique, l'endoctrinement, l'innocence, la maladie, la mort, la médecine, la science, l'amour, les femmes, la famille, la pudeur... C'est tout un musée de l'homme qui se retrouve décortiqué méthodiquement au fur et à mesure que le roman avance.
Le bouquin n'est pas écrit dans le seul but de dénoncer le régime soviétique. L'idée est là, bien sur en fond de trame, mais comme un des nombeux messages de l'auteur. C'est avant tout les gens qu'il regarde, qu'il étudie, et qu'il décide d'aimer malgré tout. Sa conclusion est amère et résignée, mais je choisis d'y voir de l'espoir car du début à la fin du roman, il chérit chaque humain rencontré et autorise que l'on s'attache même au pitoyable et méprisable membre du KGB. Il ne juge personne en particulier à part Staline, et plaint sincèrement ceux qui ont résisté autant que ceux qui ont courbé la tête.
Les paralleles entre le cancer et le régime soviétique, plus particulièrement Staline, sont nombreux. Je dirais que jusque là l'histoire lui donne raison et que le cancer de Staline ronge encore profondément la Russie. De là à dire comme il est sous-entendu que c'est impossible de s'en débarrasser, c'est autre chose.
Du reste, j'ai hésité à me plonger dans une oeuvre aussi évidemment politique et très longue. Mais Le Pavillon des Cancereux est une véritable oeuvre littéraire avec un style époustouflant. Particulièrement si on a lu Une journée...: là où on avait un style neutre, frisant le Primo Levi du peu d'émotion qui s'en dégageait, ici tout est émotion. Les dialogues sont incroyables, on passe constamment du point de vue d'un personnage à l'autre, avec des tournures de phrase subtiles entre chaque réplique qui nous font sans pitié s'identifier tantôt à l'un des interlocuteurs, puis brusquement à l'autre. Epoustouflant, le roman se lit avec une facilité déconcertante, même dans ses moments les plus descriptifs, car chaque mot a son importance et rien n'est superflu.
Les personnages sont tous ciselé avec soin, même les personnages secondaires comme la fille de Rusanov, brillante endoctrinée, ou la mère de Vadim. Chacun amène sa propre histoire, comme autant de mini-romans et de messages philosophique cachés au coeur de l'oeuvre. On y apprend par exemple que les médecins devrait avoir honte de refuser de faire des examens rectaux à leur patient, mais aussi que l'amour d'une mère est infini. Que la féminité est tout pour une adolescente et que la radiothérapie a du passer par de nombreuses erreur pour arriver jusqu'à nous aujourd'hui, etc...
Parmis les scenes epoustouflantes qui nous sont amenées les unes après les autres, il y a par exemple le biblique passage ou Dyoma embrasse le sein condamné d'une jeune cancéreuse, le passage au zoo de Kostoglotov, la diatribe de Shulubin sur la souffrance de ceux qui courbent l'échine.
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Aussi, ma copie est rouge foncée avec un énorme marteau et une énorme faucille dessus, avec le titre en tout petit. La lire dans un lieu public a eu un côté délicieux.