Jusqu'à présent je n'avais pas trop Hannah Arendt, enfin c'était intéressant mais ça ne m'avait pas passionné et là, contre toute attente (j'avais déjà vu responsabilité et jugement qui peut être vu comme une sorte de "suite") j'ai été immédiatement happé. Je sentais que pour une fois ça n'allait pas être juste des banalités et des évidences ou des choses qui auraient méritées d'être plus développées, d'aller plus loin, etc (c'était ce que je reprochais à la crise de la culture, bien que j'avais apprécié).
En réalité Hannah Arendt décrit avec une précision qui fait mal et qui a fait mal à ceux qui avaient une analyse contraire, le procès Eichmann, mais pas seulement. Elle montre à quel point ce procès était une sorte de farce, jugé coupable avant même le début du procès, traité comme un apatride, abandonné de tous, Eichmann a été victime d'un procès commandé par le jeune état d'Israël. Kidnappé à l'encontre du droit international en Argentine, ne bénéficiant pas de l'aide de son pays (l'Allemagne), il y a plein de choses à dire sur les manières avec lesquelles se sont déroulées le procès.
Mais ce qui fascine réellement Arendt et le lecteur, c'est "la banalité du mal", comment ce type à l'intelligence moyenne, médiocre, peut se retrouver être celui aux yeux de tous serait le responsable du génocide juif, alors qu'il n'a pas conscience de faire le "mal" et qu'il dit obéir aux ordres. C'est tout ce paradoxe qui est palpitant. Elle réussit à faire sentir toute la médiocrité d'Eichmann en racontant sa vie, son attitude au procès, mais également son rôle dans le système concentrationnaire nazi, tout en expliquant pourquoi on lui prêtait le rôle de "grand méchant", alors que finalement il n'était qu'un "rouage" et que lors du procès tout était fait pour casser son rôle de "rouage" pour dire que sans lui, le génocide n'aurait pas existé ou pas dans une telle ampleur.
Toute la réflexion autour de la responsabilité et de la culpabilité est passionnante (et le bouquin responsabilité et jugement fait tout à coup plus sens dans mon esprit).
Mais Arendt ne se limite pas au simple procès et à son contexte, elle décrit la logistique de la déportation en Europe et je dois dire que j'ai appris plein de choses, notamment la résistance bulgare à s'en prendre à ses juifs, au fait que les roumains avaient une longueur d'avance sur Hitler à ce niveau là et que les nazis cherchaient limite à tempérer leurs ardeurs, mais aussi, mine de rien que les français avaient rechignés à donner les juifs français, que Pétain et Laval n'étaient pas au courant de la volonté réelle des nazis, etc.
J'ai beaucoup apprécié également les piques envoyées à l'état d'Israël au début du livre où elle dit que finalement les lois de Nuremberg étaient appliquées en Israël (notamment l'interdiction du mariage mixte).
Bref, c'est un livre extrêmement riche et passionnant, où le fait qu'elle "raconte l'histoire" du procès, avec son contexte, les enjeux et tout ce qu'il faut savoir sur la question, permet d'avoir une vision globale extrêmement intéressante et complète et bien moins manichéenne qu'un Eichmann = Satan, mais avec une réelle complexité et une réelle réflexion sur la "banalité du mal" et le fait que justement ce qui est "terrifiant" c'est que tout ça a été fait par des gens normaux, pas des sadiques, pas des psychopathes, mais des fonctionnaires, parfois zélés...