Lu en Novembre 2021. Ed Folio-theatre. 8/10
Après m'être mis dans le bain avec la version de Sophocle, je me suis attaqué à une version bien plus moderne, celle de Jean Giraudoux.
Giraudoux m'a toujours semblé être le cliché de l'auteur qu'on étudie dans le supérieur, car il est canonique mais trop difficile pour des lycéens. Et ma foi, je pense que c'est confirmé.
Dès l'entame, j'ai senti que je ne saisirai pas tout et qu'une seconde lecture ne sera pas de trop, ainsi que des lectures complémentaires, pour bien apprécier l’œuvre. Mais le style, décomplexé et pince sans rire m'est familier !
En effet, c'est sacrément décalé. J'ai eu du mal à comprendre ce qu'ils racontaient, le blabla de Egisthe, le blabla du Mendiant (parce que je persiste à croire qu'il y a quelque chose à comprendre). Il y a manifestement un fort lien avec l'absurde.
Les femmes, notamment Electre, sont complètement folles. À la fin, on se rend compte qu'ils sont tous plus ou moins fou, ou a minima, obsessionnels.
De jolis mots sont parfois prononcés, noyés dans un décalage psycho-méta-philosophique (que sais-je encore…) de dialogues et de raisonnements. Il y a un mysticisme dont certains personnages sont aussi exclus que nous. Électre, Egiste, Le mendiant et les petites Euménides : savent !
II-7 : Egisthe s'est "declaré", et lorsqu'il n'était que "régent", il n'était qu'un "débauché" : "moi le jouisseur, le parasite, le fourbe".
Le mendiant est sans doute le personnage le plus hilarant bien qu'il ne soit pas uniquement comique, il est l'huile qui fait tourner les rouages de l'intrigue.
"Frère des canards, voilà notre vrai titre" (I-13). = Premier, deuxième ou trente-sixième degré ?
Que dit à l'époque de Giraudoux, la haine d'Electre pour sa mère ? "Tu as voulu ne pas avoir perpétuellement devant toi le visage de celle qui est ta pire ennemie. – Celui de ma fille ? – Celui de la chasteté" (I,9)
Il y a tout un discours sur la haine qui m'a longtemps dépassé dans la pièce jusqu'à ce que je me rende compte qu'il s'agit d'un discours plus global sur le pardon, la collaboration, la prescription d'un crime…
Il y a toute une dimension métathéâtrale qui brise le quatrième mur, I,12 et I,13 + Entracte. Parodie de la scène précédente par les petites Euménides et puis analyse de la psychologie d'Electre par le mendiant. C'est assez hallucinant. "Qu'elle se casse la gueule Electre" (I, 13)
Comment la phrase : "Son sourcil était le sourcil d'une femme morte qui a eu un amant" pourrait-elle être 1er degré ?
Idem, Agamemnon a le petit doigt levé en permanence ce qui semble être motif de meurtre. C'est absurde et c'est à la fois très drôle et pas du tout.
"Léon aussi a glissé. Il était étendu dans son lit, et le matin on l'a trouvé mort. Il a trouvé le moyen de glisser dans la mort, en plein sommeil, sans bouger, sans glisser." (II-8)
Difficile malheureusement, de se débarrasser des remarques misogynes, le péché originel repose sur une femme qui est avant tout malheureuse avec son mari. D'ailleurs, la très belle relation Clytemnestre-Oreste construite au début de la pièce est atomisée par le retrait d'Oreste qui revient tuer sa mère sur le simple fait de son infidélité (et du meurtre du père mais quand même…). La compensation, c'est que les actions de Électre n'apparaissent pas comme fondamentalement bonnes, saines d'esprit, et morales ; et l'esclandre de Agathe (II-6) apparaît justifiée et positive. La frontière du sexisme est en tout cas ténue, ce qui est probablement plus positif que négatif en fin de compte.
Le récit de la mort finale a été racontée par le mendiant, tout s'est passé hors-champ, comme par pudeur, dans le respect de la bienséance théâtrale et dans une continuité globale de respect des règles classiques du théâtre. Giraudoux ne fait pas tout imploser, il cherche le dialogue contrairement à ce que proposera Genet par exemple.
Ce fut, pour le moins, intéressant, fascinant même, quoique très difficile.
Ma seconde lecture si il y a, (à défaut, d'une autre pièce) sera abordée avec un tout autre œil. Je saurai à peu près m'attendre à ce style très déconcertant.